Canada ( Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ) c. Katriuk
T-2409-96
juge Nadon
29-1-99
107 p.
Révocation de citoyenneté-Demande de jugement déclarant que le défendeur a obtenu la citoyenneté canadienne par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels-Défendeur né le 1er octobre 1921 à Luzhany dans une région connue sous le nom de Bucovine, qui faisait alors partie de la Roumanie-Occupation soviétique de la Bucovine en 1940-Invasion allemande en 1941-Formation, par les Allemands, de bataillons dans lesquels des ressortissants de divers pays, dont l'Ukraine, serviraient l'Allemagne-Le défendeur a été membre d'un de ces bataillons, dirigé par des officiers ukrainiens sous le commandement général d'officiers allemands-Le défendeur a témoigné n'avoir jamais participé à une opération militaire majeure, ne s'être jamais servi de son fusil dans deux des quatre endroits oú son bataillon a été en poste, mais avoir protégé les civils contre les partisans ennemis-Repli des troupes allemandes au fur et à mesure de l'avance de l'armée russe-Bataillon du défendeur transporté en France-Est alors devenu partie des Waffen SS-Désertion de la majorité des hommes du bataillon pour rejoindre les partisans français et combattre contre les Allemands-Par suite des pressions des Soviétiques, défendeur et compagnons retirés du front-Pour éviter d'être renvoyés en Russie, se sont joints à la Légion étrangère française (la LEF) en 1944 et ont combattu avec les alliés-Quand la guerre a pris fin, le défendeur a été amené en France-Réorganisation de la LEF de façon à être envoyée en Indochine-Parce qu'il s'entendait mal avec son commandant, le défendeur a craint de ne pas revenir vivant-Le défendeur a déserté la LEF, a changé de nom parce que, étant un déserteur, il serait fusillé s'il était repris-Le défendeur a vécu et travaillé à Paris-S'est marié en 1948-Au printemps 1951, s'est rendu au consulat canadien avec son épouse pour savoir s'il pouvait immigrer au Canada-Ne se rappelle pas qu'on lui ait demandé quoi que ce soit de précis au consulat-A témoigné n'avoir jamais rempli ou signé de formulaire, n'avoir jamais eu d'entrevue-A nié qu'on lui ait demandé ce qu'il avait fait de 1938 à 1945-Demandes de résidence permanente non produites en preuve, le Ministère ayant détruit les dossiers dans le cours régulier de ses activités-Le défendeur et son épouse sont arrivés au Canada le 14 août 1951-Le défendeur nie avoir eu une entrevue avec des agents d'immigration à son arrivée à Québec-En 1957, il a communiqué avec le bureau d'immigration en vue de clarifier son statut d'immigrant avant de demander la citoyenneté canadienne-Demande de correction de noms acceptée en mai 1958-Demande subséquente de citoyenneté canadienne sous le nom de Katriuk-Citoyenneté accordée en novembre 1958-Le ministre soutient: 1) que le défendeur a pris part aux atrocités dont la population civile, en Biélorussie, a été victime pendant qu'il était membre du Bataillon 118; 2) qu'il n'a pas divulgué des faits essentiels en demandant la résidence permanente au Canada en 1951, et notamment sa véritable identité, qu'il n'a pas divulgué des faits essentiels en 1958, lorsqu'il a demandé la citoyenneté canadienne-Demande accueillie-Décision appliquée: Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Bogutin (1988), 144 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.)-La personne qui souhaitait acquérir un domicile canadien en 1951 devait être «débarquée» au sens de la Loi sur l'immigration de 1927-Pour être «débarquée», elle devait avoir été légalement admise au sens de la Loi sur l'immigration-L'art. 33(2) de la Loi sur l'immigration de 1927 prévoyait que les candidats à l'immigration «doivent, lors de leur examen prévu par la présente loi, répondre véridiquement à toutes les questions qui leur sont posées par un fonctionnaire»-Applicabilité de la norme civile de preuve selon la prépondérance des probabilités, mais nécessité d'examiner la preuve attentivement en raison des allégations graves qui doivent être établies par la preuve présentée-Compte tenu des témoignages, difficile sinon impossible de retenir le témoignage du défendeur selon lequel il n'a pas participé à des opérations militaires importantes pendant que son bataillon était en Biélorussie-Ayant été un membre actif du bataillon, le défendeur doit au moins avoir participé à certaines opérations dans lesquelles son bataillon était en cause entre 1942 et 1944-A certainement combattu les partisans ennemis-Mais le ministre n'a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que le défendeur a participé à la perpétration de crimes de guerre ou qu'il a commis pareils crimes-Quant à savoir s'il a joint le bataillon volontairement, le défendeur l'a joint pour un certain nombre de raisons, et peut-être notamment pour bénéficier de meilleures conditions de vie, éviter la faim, parce qu'il préférait les Allemands aux Russes et était prêt à se battre contre d'anciens oppresseurs-Le refus de joindre un bataillon n'entraînait pas nécessairement la déportation ou les travaux forcés-Le défendeur a probablement décidé de joindre un bataillon parce que c'était un moindre mal compte tenu des possibilités que la vie lui offrait à ce moment-là-Bien que le défendeur n'ait pas été tout à fait sincère lorsqu'il a parlé de sa participation aux activités du bataillon, cela n'amenait pas à inférer qu'il essayait de cacher qu'il avait commis des crimes de guerre ou qu'il avait participé à la perpétration de pareils crimes-2) Examen de la politique d'immigration du Canada en ce qui concerne l'entrée au Canada d'«indésirables» et de la façon d'appliquer cette politique-Le décret C.P. 1950/ 2856, DORS/50-232, permettait au gouvernement du Canada d'interdire ou de limiter le droit d'établissement au Canada à l'égard de certaines catégories d'immigrants-Au moyen de la Directive no 14, le Cabinet a clairement déclaré que les collaborateurs et les personnes qui se servaient de noms ou de documents faux ou fictifs n'étaient pas admissibles en vertu de la Loi de l'immigration de 1927 et qu'on ne devait pas leur délivrer un visa-Les agents de la GRC qui étaient sur les lieux avaient été informés des critères de rejet-La procédure d'immigration existante aurait entraîné le rejet du défendeur-Les non-Allemands qui s'étaient battus avec l'armée allemande ou qui avaient aidé les forces allemandes contre les alliés étaient considérés comme des collaborateurs et devaient être rejetés-Le ministre ne s'est pas dégagé du fardeau de démontrer qu'on avait expressément demandé au défendeur à quelles activités il s'était livré pendant la guerre-Quant au formulaire d'immigration utilisé au bureau de Paris en 1951, le formulaire O.S.8 et le nouveau formulaire O.S.8, la Cour n'a pas conclu qu'on a posé une question lui demandant de fournir des renseignements précis au sujet de ses activités pendant la guerre, mais on a dû tout au moins lui demander de répondre aux questions figurant dans les deux formulaires, soit des détails au sujet de l'emploi qu'il avait exercé le plus longtemps au cours des dix dernières années et du nombre d'emplois qu'il avait exercés pendant ces dix années-On doit avoir demandé au défendeur pourquoi il était allé en France et de quelle façon il y était arrivé-Le véritable objectif de la demande de correction de visa était de permettre l'établissement de «Vladimir Katriuk» le 14 août 1951, à Québec, à défaut de quoi le défendeur ne pouvait pas demander et acquérir la citoyenneté canadienne-En demandant un visa pour venir au Canada et en obtenant le droit d'établissement, le demandeur et son épouse ont intentionnellement dissimulé des faits essentiels en ce sens qu'ils n'ont pas divulgué leur véritable identité-Par conséquent, les agents au consulat de Paris ont été privés de renseignements essentiels qui leur auraient permis de déterminer si le défendeur devait être admis au Canada-Afin de décider si le défendeur a acquis sa citoyenneté canadienne par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels, il faut tenir compte de la demande que le défendeur a présentée en 1957 et des renseignements qu'il a fournis en vue de faire corriger son nom, et ce, en tant que partie intégrante de la demande de visa qui a été faite en 1951-Cette approche est correcte étant donné que «Vladimir Katriuk» a obtenu le droit d'établissement à Québec à cause de la décision qui a été prise en 1957-L'affidavit souscrit par le défendeur en 1957 n'a pas été produit en preuve, mais il y déclare s'être réfugié en France en 1944-Ce n'est pas une déclaration exacte et juste, car il n'est pas entré en tant que réfugié mais en tant que membre d'un bataillon qui s'était battu du côté de l'Allemagne contre des alliés-Le défendeur a déclaré qu'il «s'était réfugié» en France dans son affidavit de 1957 à l'appui de sa demande de correction de nom parce qu'il croyait devoir expliquer de quelle façon il était arrivé en France en 1944-Il le croyait parce qu'on doit lui avoir demandé, en France en 1951, à quel moment et à quel endroit il était entré en France-Ces renseignements ont été fournis en vue de convaincre les autorités qu'il n'était pas entré au Canada sous un nom d'emprunt à des fins illégitimes ou illégales-Ces renseignements étaient pertinents et essentiels, aux fins de la décision du Ministère-Si le défendeur n'avait pas caché qu'il était arrivé en France en août 1944 à titre de membre d'un bataillon, qu'il avait par la suite déserté pour joindre la résistance française, le Ministère aurait probablement tout au moins enquêté sur le défendeur par l'entremise des voies disponibles, compte tenu des critères de rejet applicables prescrits par le gouvernement-Le Ministère aurait alors été en mesure de décider si le défendeur appartenait à une catégorie exclue d'immigrants-Les déclarations contraires à la vérité ou les réponses trompeuses ont eu pour effet d'exclure ou d'écarter d'autres enquêtes, même si aucun motif indépendant d'expulsion n'eût été découvert par suite de ces enquêtes: Ministre de la Main-d'_uvre et de l'Immigration c. Brooks, [1974] R.C.S. 850-Les questions relatives aux emplois que le demandeur avait exercés au cours des dix années qui avaient précédé sa demande étaient telles qu'il était obligé de divulguer qu'il avait participé à la Seconde Guerre mondiale-Le défendeur n'a pas répondu à ces questions avec franchise-Par conséquent, il n'a pas été légalement admis au Canada à titre de résident permanent-Il est réputé avoir acquis la citoyenneté canadienne par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels en violation de la Loi sur la citoyenneté-Loi de l'Immigration, S.R.C. 1927, ch. 93, art. 33(2)-Décret concernant l'entrée d'immigrants au Canada, DORS/50-232.