Chedid c. Canada ( Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration )
IMM-1359-96
juge Cullen
27-2-97
13 p.
Demande de contrôle judiciaire déposée à l'encontre d'une décision rendue par un fondé de pouvoir du ministre, selon laquelle le requérant constitue un danger pour le public au Canada au sens de l'art. 70(5) de la Loi sur l'immigration-L'art. 70(5) dispose que ne peuvent faire appel devant la section d'appel les personnes qui, selon la décision d'un arbitre, relèvent du cas visé à l'art. 27(1)d) et, selon le ministre, «constituent» un danger pour le public au Canada-Le requérant, un immigrant ayant obtenu le droit d'établissement, a été reconnu coupable de trois chefs de trafic de stupéfiant, et a été condamné à un an de prison-Il a fait l'objet d'un rapport au titre de l'art. 27(1)-Voici les documents portés à l'attention du ministre lorsque celle-ci a décidé que le requérant constituait un «danger pour le public»: le rapport A27(1), lequel décrit le degré auquel le requérant est effectivement établi au Canada, retraçant brièvement les emplois qu'il a occupés et brossant un rapide portrait de sa famille qui se trouve ici; l'acte d'accusation sur les condamnations dont le requérant avait fait l'objet et les peines qui lui avaient été imposées; la lettre de l'agent de probation et de libération conditionnelle; une note de la police d'Ottawa; le dossier d'instance de la GRC; les arguments du requérant, et les rapports sur la situation des divers pays-Le ministre n'a pas eu connaissance de la décision de la Commission des libérations conditionnelles accordant la libération conditionnelle au requérant dès que la loi lui permettait d'en bénéficier au motif qu'il n'avait pas d'antécédents criminels, qu'il avait terminé sa libération conditionnelle sans la moindre anicroche, qu'il était porté et décidé à vivre conformément à ce que prescrit la loi et la société, et qu'il avait un emploi et que sa famille l'assurait de son soutien-Demande accueillie-Le ministre a commis une erreur, aussi bien de droit que de fait-Si l'exercice du pouvoir discrétionnaire que confère l'art. 70(5) est en grande partie subjectif, le ministre est néanmoins tenu de constater les faits de manière objective et d'appliquer les principes de droit qui s'imposent-L'art. 70(5) s'applique aux personnes qui «constituent» un danger pour le public au Canada; cette disposition s'applique par conséquent au risque que cette personne pose actuellement ou à l'avenir-Le simple fait qu'une personne ait été déclarée coupable d'une ou de plusieurs infractions criminelles, ne permet pas, en soi, de dire que cette personne pose, pourrait poser, ou est susceptible de poser un danger pour le public: Salilar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 3 C.F. 150 (1re inst.)-La décision que la personne en question continuera à poser un danger pour le public ne peut être prise qu'au regard des circonstances propres d'une affaire-Le ministre a fondé sa décision uniquement sur les condamnations dont le requérant a fait l'objet, sans tenir compte des autres circonstances de l'affaire-Il n'est certes pas impossible de se fonder, pour décider qu'une personne constitue un danger, sur une seule et unique condamnation grave, mais la Cour ne saurait procéder ainsi en l'absence de preuves que la personne en question pose effectivement, actuellement ou potentiellement, un danger-Une condamnation pénale antérieure ne permet pas, à elle seule, de conclure à l'existence d'un danger effectif-En l'absence de preuves démontrant que l'intéressé va vraisemblablement commettre de nouvelles infractions pénales (preuves fondées par exemple sur les antécédents violents ou criminels de l'individu ou sur un mode de vie impliquant des valeurs ou des habitudes criminelles), il est abusif de conclure, en raison d'une condamnation pénale antérieure, que cette personne va vraisemblablement constituer un danger pour le public: Archibald c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 29 Imm. L.R. (2d) 259 (C.F. 1re inst.)-Il n'y a, en l'espèce, ni preuve que l'intéressé commettra vraisemblablement de nouvelles infractions pénales (la preuve indique plutôt le contraire), ni preuve d'une inclination systématique à la violence ou aux comportements criminels, ni preuve que l'intéressé a des habitudes ou des valeurs qui soient elles-mêmes des indices d'une mentalité criminelle-Il a déjà été jugé que le requérant ne représente pas une menace pour la société-Étant donné qu'un lien n'a pas été établi entre la condamnation pénale dont le requérant a fait l'objet et la probabilité qu'il se rendra coupable de nouvelles infractions criminelles, et en présence d'un nombre considérable d'indices que le requérant ne pose pas un danger pour la société, la décision du ministre était fondée sur une conclusion de fait erronée et tirée sans tenir compte des éléments dont elle disposait-Aux fins de l'application de l'art. 70(5), le critère à retenir n'est pas la «gravité» de l'infraction, mais le «danger» posé par l'intéressé-Or, si les rapports transmis au ministre établissent bien la gravité de l'infraction, ils ne démontrent aucunement le danger que poserait le requérant-Lorsque le dossier contient si peu d'éléments étayant la décision du ministre et que des preuves appréciables portent à la conclusion contraire, on peut raisonnablement conclure qu'à tout le moins, le ministre a forgé son opinion «sans tenir compte des éléments dont il disposait»-La décision de la Commission des libérations conditionnelles revêtait une importance essentielle lorsqu'il s'agissait de décider si le requérant constituait effectivement un danger public, puisqu'il contenait des éléments rendant invraisemblable l'hypothèse d'une récidive-La décision de la Commission des libérations conditionnelles ne serait pas normalement admissible dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, étant donné qu'elle ne se trouvait pas dans le dossier transmis au ministre, mais, étant donné que les décideurs auraient pu se procurer facilement cette preuve à la fois importante et pertinente et vu les conséquences qu'entraînerait une décision défavorable, ce document aurait dû être obtenu-Il est essentiel que de tels renseignements, importants et pertinents, soient transmis au ministre lorsqu'il s'agit de prendre une décision sous le régime de l'art. 70(5)-La décision de la Commission des libérations conditionnelles aurait dû être portée à l'attention du ministre, que le requérant en fasse ou non la demande-Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 27(1)d), 70(5) (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13)-Loi sur la Cour fédérale, L.R.C., (1985), ch. F-7, art. 18.1(4) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).