Alcan Aluminium Ltée c. Unican International S.A.
T-1217-90
juge Nadon
14-6-96
68 p.
Action en dommages-intérêts résultant du défaut du navire Carrybulk de se présenter à Port Alfred afin de charger une cargaison (appartenant aux demanderesses) de lingots d'aluminium à transporter aux Pays-Bas-Unican était le propriétaire du Carrybulk-C.T.O. était l'affréteur à temps du Carrybulk-Le 19 janvier 1990, la Société d'électrolyse Alcan a conclu un contrat d'engagement de fret avec C.T.O. pour le transport de 4 000 à 5 000 t.m. de lingots d'aluminium des ports de Port Alfred et de Bécancour au port de Rotterdam oú ils seraient transbordés sur des navires collecteurs à destination du Liban et de la Turquie oú ils devaient arriver aux environs du 18 ou du 19 avril 1990-Les demanderesses avaient l'intention de charger 1 000 t.m. à Bécancour et 4 000 t.m. à Port Alfred-C.T.O. n'a signé l'engagement de fret à titre de mandataire que plusieurs mois après avoir conclu l'entente-C.T.O. a ordonné au Carrybulk de se rendre d'abord à Port Alfred et ensuite à Bécancour, mais la Société d'électrolyse Alcan a accepté de charger la cargaison de Bécancour avant celle de Port Alfred-L'engagement prévoyait un délai de parcours du 22 janvier au 25 janvier 1990, c'est-à-dire que le navire devait se présenter pendant ces jours-là, à défaut de quoi la Société d'électrolyse Alcan aurait le droit d'annuler le contrat d'engagement de fret-Quand il est devenu manifeste que le Carrybulk ne pouvait pas respecter le délai de parcours, la Société d'électrolyse Alcan n'a pas prolongé le délai de parcours mais n'a pas annulé le contrat d'engagement de fret, renonçant ainsi à cette option d'annulation de l'engagement de fret-Après avoir quitté Bécancour le 31 janvier 1990, le Carrybulk s'est vu ordonner par C.T.O. de se rendre à Port Alfred-Il s'est pris dans la glace et a eu un problème au niveau du moteur-Le 1er février, C.T.O. a ordonné au Carrybulk de retourner à Bécancour-À son arrivée à Bécancour, C.T.O. a appris que le problème au niveau du moteur n'était pas aussi grave qu'on l'avait cru à l'origine, mais elle a continué d'appliquer le plan d'urgence, c'est-à-dire qu'on a chargé à bord du Carrybulk du bois appartenant à un autre client et qu'une partie de la cargaison de Port Alfred a été transportée à Bécancour par camion-La cargaison de Port Alfred a été chargée plus tard à bord du Lady Franklin-Les questions en litige: (1) quelles sont les parties au contrat; (2) qui n'a pas exécuté le contrat: le ou les défendeur(s) ou les demanderesses; (3) quel était le quantum de dommages-intérêts approprié-(1) Seule C.T.O. est partie au contrat d'engagement de fret avec la Société d'électrolyse Alcan-Il n'était pas pertinent qu'elle ait signé à titre de mandataire-Pour lier Unican à cet engagement, il faut qu'il y ait un pouvoir, qu'il soit réel (exprès ou implicite) ou apparent-Les déclarations, qu'elles soient expresses ou implicites, faites par un mandant constitueront un fondement pour dire que le mandataire a agi avec un pouvoir apparent-Les déclarations faites par le mandataire seul n'ont pas un caractère déterminant pour la question en litige-Aucune déclaration expresse ou implicite n'a été faite par C.T.O. à la Société d'électrolyse Alcan au point de l'amener à croire qu'elle agissait à titre de mandataire au nom d'un mandant-En outre, aucune déclaration expresse ou implicite n'a été faite par Unican-Ainsi, la Société d'électrolyse Alcan croyait que C.T.O. était l'autre partie au contrat d'engagement de fret-Il n'existait pas de pouvoir apparent permettant de conclure qu'Unican était liée par le contrat d'engagement de fret-C.T.O. n'avait pas le pouvoir (de façon expresse ou implicite) de conclure un contrat d'engagement de fret au nom d'Unican-Comme la cargaison de Port Alfred n'a jamais été chargée à bord du Carrybulk, Unican n'a jamais été partie à un connaissement-La jurisprudence sur la portée des connaissements émis au nom du capitaine ou des propriétaires de navires peut être distinguée d'après les faits particuliers, car la cargaison de Port Alfred n'a jamais été chargée à bord du Carrybulk, et, par conséquent, le capitaine du navire n'a jamais émis de connaissement relativement à la cargaison-Unican n'était pas le transporteur-Le Carrybulk était sous le plein contrôle de C.T.O.-La seule partie au contrat d'engagement de fret était C.T.O.-Unican n'était pas liée par un contrat de transport attesté par des connaissements-L'action des demanderesses à l'encontre d'Unican est rejetée-(2) C.T.O. n'avait pas l'intention d'ordonner au Carrybulk de revenir à Port Alfred le 2 février 1990-Si C.T.O. avait eu l'intention d'envoyer le Carrybulk à Port Alfred, elle en aurait avisé la Société d'électrolyse Alcan-Le fait que la Société d'électrolyse Alcan ait affrété le Lady Franklin le 7 février 1990 n'avait rien à voir avec la décision de C.T.O. de ne pas envoyer le Carrybulk à Port Alfred-Le temps n'est pas de l'essence du contrat d'engagement de fret-Lorsque la Société d'électrolyse Alcan a accepté de charger la cargaison à Bécancour à la fin de janvier 1990 et a renoncé à son droit d'annuler le contrat d'engagement de fret, le Carrybulk devait se rendre à Port Alfred «avec une diligence raisonnable» et charger la cargaison de la Société d'électrolyse Alcan-C.T.O. n'avait pas l'intention de renvoyer le Carrybulk à Port Alfred vu que ce navire, lorsqu'il a quitté Bécancour, était en partance pour l'Europe avec une cargaison de bois-Le Carrybulk ne se rendait pas à Port Alfred avec une diligence raisonnable-Voici les quatre exigences fondamentales de l'inexécution anticipée: (1) l'inexécution alléguée doit atteindre l'essence du contrat, c'est-à-dire qu'elle doit avoir pour effet de priver la partie lésée de pratiquement l'ensemble du bénéfice du contrat; (2) la partie au contrat doit indiquer, de façon expresse ou par sa conduite, qu'elle ne pourra pas exécuter le contrat à l'échéance; (3) l'inexécution anticipée doit être inévitable; (4) la partie en défaut ne peut justifier sa conduite-Ces exigences sont réunies en l'espèce-L'incapacité ou le refus de C.T.O. de transporter la cargaison de la Société d'électrolyse Alcan constitue une inexécution qui atteint l'essence du contrat-La conduite de C.T.O. était telle qu'elle indiquait à la Société d'électrolyse Alcan qu'elle serait dans l'incapacité d'exécuter le contrat-Ainsi, l'inexécution anticipée par la Société d'électrolyse Alcan était inévitable-Enfin, C.T.O. n'a pu justifier son incapacité d'exécuter le contrat-La Société d'électrolyse Alcan, lorsqu'elle a pris des mesures subsidiaires pour expédier sa cargaison de Port Alfred, n'a pas violé le contrat d'engagement de fret, mais elle a prévu à bon droit que C.T.O. n'exécuterait pas le contrat-La clause de substitution, qui prévoit que le «transporteur» aurait le loisir de transporter les marchandises jusqu'à leur port de destination sur le navire ou sur tout autre navire, qui appartienne au transporteur ou à autrui, peut être suffisante pour permettre au transporteur de remplacer le navire désigné par un autre avant de commencer à exécuter le contrat, mais elle ne permet pas au transporteur de remplacer le navire lorsque le navire désigné a commencé à exécuter le contrat-Comme C.T.O. n'a pas exécuté le contrat d'engagement de fret, la demande reconventionnelle est rejetée-Même si la Cour avait conclu en faveur de C.T.O. sur la question de l'inexécution du contrat, la demande reconventionnelle aurait été rejetée car, selon la preuve, le navire de remplacement proposé n'aurait pas été à même d'exécuter le voyage-(3) La règle habituelle de l'obligation de minimiser les dommages prévoit que la partie lésée doit agir de manière raisonnable dans tous les cas-Aucune perte ne peut être indemnisée par voie de dommages-intérêts lorsque la partie lésée n'a pas pris toutes les mesures raisonnables pour éviter la perte-Aucune preuve ne montrait qu'à moins que la Société d'électrolyse Alcan n'expédie la cargaison vers le 15 février, les ventes seraient compromises-Même si les demanderesses avaient prouvé qu'elles étaient tenues de respecter la date limite de la mi-février, elles n'auraient pas pu justifier leur affrètement du Lady Franklin-C.T.O. n'était pas tenue d'exécuter ses obligations contractuelles avant le 15 février 1990, mais dans un délai raisonnable-La Société d'électrolyse Alcan n'a pas agi de façon raisonnable lorsqu'elle a affrété le Lady Franklin aux conditions oú elle l'a fait, vu qu'aucune preuve ne montre qu'elle aurait subi une perte commerciale si les expéditions n'avaient pas été faites avant la mi-février, et que les lettres de crédit révèlent que les expéditions pouvaient avoir lieu au plus tard en mars et en avril 1990 et que, de toute manière, C.T.O. n'a pas accepté d'exécuter le contrat pour les dates limites invoquées par les demanderesses-Les demanderesses auraient dû accepter le Jugo Navigator, lequel aurait été disponible au cours de la dernière semaine de février 1990-Les dommages subis par les demanderesses devraient être calculés en partant de l'idée que leur cargaison de Port Alfred aurait dû être transportée sur le Jugo Navigator-Les demanderesses ont droit à la somme de 42 473,78 $ US en tenant compte du nombre total de tonnes métriques de lingots qui aurait dû être expédié sur le Carrybulk, mais qui ne l'a pas été-L'intérêt composé n'a pas été octroyé-Le pouvoir discrétionnaire d'accorder un intérêt composé devrait être exercé en faveur d'une partie qui a gain de cause lorsqu'un tel octroi est nécessaire pour entièrement dédommager la partie demanderesse: autrement dit, d'après le principe restitutio in integrum-La partie gagnante doit démontrer que sa perte ne peut pas être convenablement dédommagée sans l'octroi d'un intérêt composé-La Cour n'a pas été convaincue que c'était le cas.