[2016] 4 R.C.F. F-8
Produits dangereux
Contrôle judiciaire de différentes décisions de l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (l’Agence), le représentant du défendeur, concernant la question de savoir s’il fallait procéder à des « examens spéciaux » de certains produits antiparasitaires conformément aux art. 17(2) et 17(5) de la Loi sur les produits antiparasitaires, L.C. 2002, ch. 28 — Il s’agissait de savoir si la question était théorique; à quel moment le défendeur doit, par l’entremise de l’Agence, procéder à un examen spécial du produit enregistré; si l’examen est obligatoire ou discrétionnaire; ce qui constitue un « délai raisonnable » en ce qui a trait à la décision de procéder à un examen spécial ou non; si on peut soutenir que la décision concernant le produit potentiellement interdit en Norvège est légitime ou si l’Agence était dépouillée de sa fonction — L’art. 17(1) de la Loi exige du défendeur qu’il procède à un examen spécial lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire que les risques sanitaires ou environnementaux que le produit présente sont inacceptables — L’art. 17(2) de la Loi exige également que le défendeur procède à un examen spécial lorsqu’un pays membre de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) interdit l’utilisation d’un principe actif pour des raisons sanitaires ou environnementales — En 2012, les demandeurs ont présenté une demande en vertu de l’art. 17(4) de la Loi pour que le défendeur procède, en vertu des art. 17(1) et 17(2), à 30 examens spéciaux couvrant 30 principes actifs qui auraient été interdits pour toutes les indications par un pays de l’OCDE pour des raisons sanitaires ou environnementales — Plusieurs mois plus tard, l’Agence a rendu quatre décisions rejetant les examens spéciaux pour quatre principes actifs — Les demandeurs ont contesté par voie de contrôle judiciaire les refus de procéder aux examens spéciaux en vertu de l’art. 17(2) concernant la trifluraline, le chlorthaldiméthyl et le trichlorfon, mais n’ont pas soulevé l’examen d’initiative ministérielle prévu à l’art. 17(1) — Ils ont également contesté dans le cadre d’un autre contrôle judiciaire un délai déraisonnable conformément à l’art. 17(5) pour ce qui est des 26 autres principes actifs dont les demandes étaient toujours en suspens — En 2013, le défendeur a procédé aux examens spéciaux de 23 principes actifs y compris la trifluraline et le chlorthaldiméthyl, lesquels examens avaient été auparavant rejetés — Après le début du contrôle judiciaire et des examens spéciaux, une entreprise canadienne (Syngenta Canada Inc.) a informé l’Agence que des semences traitées avec un principe actif précis (le difénoconazole) pour l’ensemencement avait été autorisé aux fins d’importation par l’Autorité sur la salubrité alimentaire de la Norvège en 2013, faisant valoir que le principe actif ne devrait pas être assujetti à l’examen spécial en vertu de l’art. 17(2) puisqu’une utilisation en était maintenant permise en Norvège — Le défendeur a ensuite rendu la décision qu’un examen spécial pour tous les produits antiparasitaires contenant le difénoconazole n’était pas requis par l’art. 17(2) de la Loi, mais les demandeurs ont ensuite déposé une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du défendeur — Le défendeur a prétendu que la question est théorique puisque les examens spéciaux ont déjà été entrepris; il n’était pas disposé à admettre en droit qu’il avait l’obligation impérative de procéder à un examen spécial en vertu de l’art. 17(2) — Des questions réelles existaient entre les parties et un débat contradictoire existait aux présentes — Le débat contradictoire concernait principalement l’interprétation législative et non la politique du gouvernement; cela est conforme à la fonction judiciaire de la cour qui consiste à trancher l’affaire — Par conséquent, la Cour a exercé son pouvoir discrétionnaire pour statuer sur le contrôle judiciaire — L’art. 17(2) contient des dispositions de nature impérative — le mot « shall » en anglais — lorsqu’il aborde l’obligation du défendeur de procéder à un examen spécial face à l’interdiction de l’OCDE — L’existence d’une situation particulière (une interdiction de la part de l’OCDE) est une condition préalable à l’obligation qui incombe au défendeur — Une fois que cette situation existe, le défendeur n’a pas d’autre choix que de procéder à un examen spécial — Bien qu’il soit loisible au défendeur de s’assurer que la condition préalable existe, une fois que l’existence de cette condition préalable est devenue manifeste, le défendeur ne peut pas refuser de procéder à un examen spécial — Une demande d’examen présentée en vertu de l’art. 17(5) ne constitue pas une condition préalable de l’obligation qui incombe au défendeur en vertu de l’art. 17(2) — La façon dont le défendeur a pris connaissance de l’interdiction de la part de l’OCDE n’a aucune importance; le défendeur doit agir; le fait pour le défendeur de connaître l’interdiction imposée par l’OCDE et de ne pas agir tant et aussi longtemps qu’une personne n’a pas déposé une demande d’examen spécial est incompatible avec l’objet de cette disposition — Par conséquent, les demandeurs pouvaient prétendre à l’ouverture de la procédure d’examen spécial au moment où le défendeur a pris connaissance de l’interdiction de la part de l’ OCDE et au plus tard lors du dépôt des demandes en vertu de l’art. 17(4) — Quant au délai raisonnable, le retard important dans les présentes circonstances de la part de l’Agence quant à sa décision de procéder à un examen spécial découlait de son interprétation erronée de l’art. 17(2) de la Loi — Une interprétation déraisonnable de cette disposition a donné lieu à un retard déraisonnable — Il existe une obligation légale tacite et de common law de procéder à l’examen spécial requis en vertu de l’art. 17(2) dans un délai raisonnable — Compte tenu de l’interprétation erronée faite par l’Agence du droit du défendeur de décider si un examen était nécessaire, le retard causé par cette interprétation était déraisonnable — En ce qui concerne la question de savoir si le défendeur a été dépouillé de ses fonctions, l’art. 17(2) de la Loi doit être considéré comme une disposition qui renferme l’exigence continue de l’existence de l’interdiction de la part de l’OCDE — Si les circonstances évoluent et que l’interdiction est levée, le défendeur ne se voit plus imposer l’obligation légale d’agir — La situation en ce qui concerne la Norvège est compliquée puisque la Norvège a adopté des points de vue contradictoires à l’égard du difénoconazole — Alors que les demandeurs prétendaient qu’une interdiction avait été mise en place, les faits révèlent qu’il n’y a pas eu d’interdiction complète en Norvège — La version anglaise de l’art. 17(2) de la Loi est formulée en termes absolus « […] prohibits all uses of […] active ingredient » (« interdit l’utilisation d’un principe actif ») — Les faits établissaient au moins une utilisation permise du principe actif en question — Selon la preuve, la Norvège a permis certaines utilisations du difénoconazole — Par conséquent, le défendeur a le pouvoir de révoquer l’examen spécial du difénoconazole — Demande accueillie en partie.
Équiterre c. Canada (Santé) (T-1422-13, 2016 CF 554, juge Phelan, jugement en date du 17 mai 2016, 21 p.)