BREVETS |
Pratique |
G.D.Searle & Co. c. Merck & Co. Inc.
T-277-00
2002 CFPI 540, juge Heneghan
9-5-02
35 p.
Requête en jugement sommaire, les demanderesses demandent qu'il soit déclaré que Merck a contrefait la revendication 42 du brevet et sollicitent, en vertu des règles 106 et 107 des Règles de la Cour fédérale (1998), une ordonnance visant la tenue d'instances distinctes afin qu'il soit statué sur la validité de la revendication 42 avant l'instruction du reste de la demande--Merck sollicite également un jugement sommaire et demande que l'action dans laquelle il est allégué qu'elle a contrefait quatre revendications du brevet Searle soit rejetée et qu'il soit déclaré qu'elle est autorisée à fabriquer, exploiter et vendre à d'autres l'objet visé par une liste précise de revendications--Merck offre en vente, vend et distribue la drogue rofecoxib sous le nom de «Vioxx» depuis novembre 1999--Le rofecoxib est une furanone--Searle commercialise la drogue celecoxib sous le nom de «Celebrex»--«Vioxx» et «Celebrex» s'attaquent toutes les deux à l'enzyme COX-2, laquelle a principalement un effet modulateur sur les composés responsables de la douleur et de l'inflammation--Les deux drogues réduisent le risque d'effets gastro-intestinaux qu'entraînait auparavant la prise d'anti-inflammatoires non-stéroïdiens--Searle allègue que le rofecoxib et le celecoxib sont les seuls inhibiteurs sélectifs de la COX-2 sur le marché canadien et qu'il s'agit donc de produits concurrents--La demande de délivrance du brevet Searle a été déposée le 14 janvier 1994--Cette demande ne divulguait ni ne revendiquait des furanones dont le rofecoxib--La demande de délivrance du brevet Merck a été déposée le 9 juin 1994--Cette demande divulguait et revendiquait des furanones, notamment le rofecoxib--En 1998, Searle a modifié sa demande pour introduire des revendications portant sur les furanones--L'examinateur a rejeté les revendications des furanones proposées dans la demande déposée par Searle au motif que la demande de brevet Merck contenait une revendication antérieure pour des furanones--La demande de brevet Merck a été accueillie--Le brevet Merck a été délivré en 1999--Le brevet Searle a été délivré en 2000 et comportait 200 revendications dont celles faisant l'objet du litige--Dans sa déclaration, Searle allègue que le produit «Vioxx»de Merck contrefait les revendications maintenues--Dans sa défense et demande reconventionnelle, Merck soutient que 140 revendications du brevet Searle, dont les revendications maintenues, sont invalides--Par la suite, Searle a cédé officiellement au domaine public 136 des 200 revendications de son brevet, ce qui représente, hormis les revendications maintenues, la totalité des 140 revendications du brevet Searle dont Merck allègue l'invalidité--Même si quatre revendica-tions ont été maintenues, Searle a modifié l'ordonnance recherchée par la requête pour n'y inclure que la revendication 42 (qui est un groupe de composés définis grâce à la limitation successive de revendications dépendantes)-- Selon Merck, parce que la revendication 42 est liée aux revendications cédées, la cession couvre la revendication 42 qui n'a pas été cédée--1) Il ressort de la jurisprudence que le critère en matière de jugement sommaire consiste à déterminer s'il existe une «véritable question litigieuse», laquelle dépend de la nature et du contenu de la preuve présentée au soutien de la requête--La réticence des tribunaux à statuer sur une question relative à un brevet dans le cadre d'une requête en jugement sommaire est due à la difficulté d'établir les faits sans procéder à une instruction--En l'espèce, les parties ont déposé des affidavits et la transcription des contre-interrogatoires menés sur ces affidavits--Il en ressort une preuve contradictoire en ce qui concerne les revendications 37, 53 et 198, mais les demanderesses invoquent le fait que Merck ne nie pas que le produit «Vioxx» contrefait la revendication 42 pour soutenir qu'un jugement sommaire devrait incontestablement être rendu à l'égard de cette revendication--Merck soutient qu'une déclaration de contrefaçon est injustifiée--Merck a ignoré à tort le principe juridique voulant que chaque revendication contenue dans un brevet soit distincte (art. 58 de la Loi sur les brevets)--Chaque revendication étant distincte, il s'ensuit qu'un acte affectant certaines revendications distinctes n'affecte pas nécessairement les autres revendications--La cession au domaine public faite par Searle renvoie à des revendications spécifiques et exclut les autres--Les revendications exclues ne sont pas «en quelque sorte» englobées dans les revendications cédées, mais cela ne règle pas la question de l'effet de la cession--Dans Parke-Davis Division c. Canada (Ministre de la Santé), [2002] 1 C.F. 517 (1re inst.), la Cour a examiné la nature juridique d'une cession de brevet, mais elle n'a pas défini clairement les conséquences juridiques d'une cession non plus que la façon dont la cession de certaines revendications pouvait affecter les revendications cédées--Contrairement à la situation dans l'affaire Parke- Davis, en l'espèce l'intention de la partie cédante ne fait aucun doute--Searle a soutenu que l'intention manifestée dans la cession était d'abandonner ou de céder certaines revendications précises du brevet--Appliquant le raisonnement tenu dans Parke-Davis et considérant l'art. 58, la Cour estime que la cession de certaines revendications au domaine public met fin au monopole du titulaire du brevet dans l'objet que décrivent ces revendications--Une telle cession n'affecte pas les droits conférés par les autres revendications du brevet--Lorsqu'il y a cession des revendications, le brevet doit être interprété comme si ces revendications n'avaient jamais existé, sous réserve de toute poursuite pour contrefaçon passée--Par conséquent, le public a le droit d'utiliser ou de fabriquer l'objet que décrivent les revendications cédées--Le droit du public d'utiliser et de fabriquer l'objet décrit par les revendications cédées est limité par la protection conférée par les brevets existants, dont le brevet Searle qui ne contient dorénavant que les revendications maintenues--La validité de ces revendications reste à déterminer suivant la procédure appropriée--La cession est nécessairement faite «sous réserve» des revendications maintenues ou de tout autre brevet--Dans le brevet Searle, la revendication 42 porte sur le composé rofecoxib--Elle n'est pas touchée par la cession au domaine public--Les demanderesses ont établi leur droit à un jugement sommaire pour contrefaçon de la revendication 42--Compte tenu de la preuve et des observations, il y a contrefaçon de la revendication 42--La requête en jugement sommaire de Merck est rejetée--Les demanderesses ne sont pas empêchées de faire valoir les revendications maintenues--2) Les règles 106 et 107 énoncent les critères permettant la tenue d'instances séparées--Searle n'a pas produit d'éléments de preuve démontrant que l'instruction séparée de la demande reconventionnelle de Merck aurait pour effet de réduire l'ampleur de la communication préalable ou de la preuve à l'instruction ou que cela accélérerait par ailleurs la procédure--Au contraire, l'instruction séparée entraînerait vraisemblable-ment la duplication de la preuve parce que la preuve relative aux autres revendications du brevet Searle touche nécessairement à la revendication 42--Il n'y aura pas instruction séparée de la demande reconventionnelle de Merck dans laquelle cette dernière allègue l'invalidité de 140 revendications--3) L'art. 50(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale accorde à la Cour le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures «lorsque l'intérêt de la justice l'exige»--Pour trancher les questions soulevées dans la demande reconventionnelle, il faut nécessairement statuer sur les questions soulevées dans la déclaration--Il y aura chevauchement des éléments de preuve--Aucune justification majeure ne permet de surseoir à l'instruction de la demande reconventionnelle--Une ordonnance portant que Merck a contrefait la revendication 42 est rendue et un jugement sommaire est accordé, mais seulement en ce qui concerne la revendication 42; l'instruction de l'action quant à la validité de la revendication 42 ne sera pas séparée; la suspension de l'instance en ce qui touche au reste de l'action est rejetée--Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, art. 58--Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, art. 50(1)b)--Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 106, 107.