PRATIQUE |
Outrage au tribunal |
Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc.
T-2408-91
MacKay
7-3-00
33 p.
La preuve établit que, sauf une courte période l'après-midi du 15 décembre 1994 et le lendemain matin, Apotex a continué, du 14 décembre jusque tard dans la journée du 16 décembre, de vendre l'Apo-Enalapril, produit dont la Cour avait jugé, ainsi que l'indiquent clairement les motifs du jugement déposés le 14 décembre 1994, qu'il contrefaisait le brevet des demanderesses--Le 15 décembre, les ventes d'Apo-Enalapril ont dépassé 9 millions de dollars et, le lendemain, elles excédaient 360 000 $--Après le 16 décembre, Apotex n'a pas traité de commandes d'Apo-Enalapril jusqu'au 23 décembre, mais elle a continué, après le 16 décembre, à livrer l'Apo-Enalapril aux clients qui avaient effectué leurs achats avant l'interruption des ventes le 16 décembre--Du 23 décembre jusqu'au 9 janvier 1995, les ventes d'Apotex n'étaient pas interdites par l'injonction, du fait du sursis provisoire et, lorsque le sursis provisoire a été annulé le 9 janvier, Apotex a cessé de vendre le produit à ses clients--M. Sherman (président d'Apotex), M. Jack Kay, vice-président exécutif, et l'avocat d'Apotex ont lu les motifs du jugement à la suite de leur dépôt--Selon M. Sherman, les motifs indiquaient qu'une injonction serait prononcée lorsque le jugement formel serait déposé et que, dans l'intervalle, Apotex pouvait poursuivre librement ses activités comme à l'ordinaire--Apotex n'a pas cherché à stimuler les ventes, mais aucun stimulant n'était nécessaire du fait que le produit, seule marque générique du médicament d'ordonnance le plus vendu sur le marché canadien, se vendait facilement grâce à la préférence accordée par les programmes provinciaux de médicaments aux termes desquels il était inscrit parmi les médicaments acceptés pour le financement public des ordonnances médicales dans toutes les provinces sauf une--La règle 355 des Règles de la Cour fédérale embrasse deux types de conduite, 1) la désobéissance à un bref ou à une ordonnance de la Cour ou d'un juge 2) le fait d'agir de façon à gêner la bonne administration de la justice ou à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité de la Cour--Le premier alinéa du préambule de l'ordonnance de justification décrit l'outrage comme la violation de l'injonction permanente prononcée le 14 décembre 1994--Comme il n'y a pas eu d'injonction prononcée avant le 22 décembre 1994, il ne pouvait y avoir violation de l'injonction ou d'une ordonnance de remise du produit contrefaisant avant le dépôt de l'ordonnance formelle--Le deuxième alinéa du préambule faisait état d'une conduite gênant la bonne administration de la justice ou portant atteinte à l'autorité ou à la dignité de la Cour--Dans l'arrêt Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd. et al. c. Cutter (Canada) Ltd., [1983] 2 R.C.S. 388, le juge Dickson a statué qu'il peut y avoir outrage au tribunal afférent à ce type de conduite lorsqu'une personne, informée des motifs du jugement, agit, entre le prononcé des motifs et le dépôt du jugement formel, d'une manière dont la Cour a clairement indiqué, dans ses motifs, qu'elle est interdite--Il faut établir hors de tout doute raisonnable que, dans la période du 14 au 22 décembre, Apotex et M. Sherman, informés des motifs du jugement, ont agi en violation des conclusions et des directives exposées dans les motifs du 14 décembre, et en outre que leurs agissements après le 9 janvier 1995, date où le sursis provisoire à l'exécution de l'injonction a été annulé et où l'injonction permanente a retrouvé son plein effet, ont rendu cette injonction et l'ordonnance de remise inopérantes en aidant des tiers pour qu'ils échangent entre eux le produit contrefaisant--La mention, dans les motifs, de la demande de l'avocat visant la possibilité d'une consultation au sujet des termes du jugement formel n'indiquent pas une intention d'attendre l'ordonnance finale pour déterminer la date d'effet des conclusions exposées dans les motifs--La consultation ne pouvait que mettre en oeuvre, par le jugement formel, les conclusions déjà posées et en vigueur, sans possibilité de changement significatif, lorsque les motifs du jugement ont été datés et déposés--Les motifs précisaient que les demanderesses Merck avaient droit, à la date des motifs, à une déclaration portant que la défenderesse Apotex avait contrefait certaines revendications de leur brevet, à une injonction permanente interdisant à la défenderesse de contrefaire les revendications valides du brevet et à une ordonnance dans les termes appropriés portant remise ou destruction sous serment ou sous la surveillance de la Cour de tous les produits Apo-Enalapril, sauf le maléate d'énalapril en vrac en stock--Les motifs spécifiaient que Merck avait droit à une injonction permanente interdisant la contrefaçon des revendications valides de son brevet--Étaient jugées constitutives de cette contrefaçon la fabrication et la vente de comprimés d'Apo-Enalapril--Il était clair le 14 décembre que le jugement formel comporterait une injonction permanente--Il y a outrage au tribunal si est fait intentionnellement un acte qui est interdit par l'ordonnance--L'absence d'intention de désobéir constitue une circonstance atténuante mais non pas une circonstance justificatrice--Dès que les motifs de jugement ont été rendus, toute action qui tend à contrecarrer l'objet de l'injonction prévue porte atteinte à ce qui a déjà reçu l'approbation de la justice--Une telle conduite mine le processus judiciaire et peut constituer un outrage au tribunal--Les motifs du jugement décrivaient clairement l'injonction permanente à prononcer--Hors de tout doute raisonnable, Apotex, par l'entremise de ses dirigeants, et M. Sherman, à titre personnel, ont commis un outrage au tribunal en vendant des produits Apo-Enalapril et en autorisant cette vente après avoir lu les motifs du jugement datés du 14 décembre 1994 indiquant qu'en date de ce jour Merck avait droit à une injonction permanente interdisant à Apotex de contrefaire les revendications valides du brevet de Merck--Comme «âme dirigeante» d'Apotex, M. Sherman a pris la décision relative à l'effet des motifs du jugement, laquelle a entraîné les ventes d'Apo-Enalapril les deux jours suivants, commettant un outrage au tribunal--La seconde allégation d'outrage au tribunal porte sur les agissements ayant eu lieu entre le 9 janvier 1995, date où le sursis provisoire à l'exécution de l'injonction a été annulé, et le 27 avril 1995, date où l'ordonnance de justification a été prononcée--M. Sherman a donné des instructions à M. Kay portant qu'à compter du 9 janvier 1995, Apotex n'accepterait plus les retours d'Apo-Enalapril de ses clients--Il s'agissait d'une dérogation à la politique normale d'Apotex qui était d'accepter les retours, parce qu'une fois les marchandises retournées, elles ne pouvaient plus être revendues--M. Sherman n'a donné aucune instruction sur la mise en oeuvre de la politique de refus des retours--Apotex, par les agissements de M. Barbeau et par la façon dont celui-ci a dirigé son personnel, a joué un rôle actif dans la promotion des ventes et des achats par des tiers du produit contrefaisant, au moins jusqu'au 20 avril 1995, date où la Cour d'appel a fait droit à la prétention d'Apotex selon laquelle le produit provenant du maléate d'énalapril en vrac acquis avant la délivrance du brevet à Merck était protégé contre une action en contrefaçon par l'art. 56 de la Loi sur les brevets--Les agissements d'Apotex pour la période allant du 9 janvier 1995 à la date de l'ordonnance de justification, savoir faciliter les ventes de son produit entre des tiers, non seulement par l'échange de renseignements, mais aussi par une intervention financière sous forme de remises de distribution et de réductions pour règlement rapide, et traiter certaines opérations comme s'il s'agissait de ventes effectuées directement par Apotex à des tiers acheteurs, ont gêné la bonne administration de la justice et ont porté atteinte à l'autorité et à la dignité de la Cour--Les agissements d'Apotex dans ces opérations, sa participation à des arrangements financiers les facilitant, ont miné le processus judiciaire et constituent un outrage au tribunal dans la période postérieure au 9 janvier 1995--M. Sherman n'a pas commis d'outrage au tribunal en instaurant une politique de refus des retours--Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, règle 355--Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 56 (mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 199).