Fiches analytiques

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PENSIONS

Un militaire de carrière a été tué lorsqu’il a été frappé par un camion‑remorque alors qu’il revenait au camp après avoir pris un bain de minuit—Il est allé à la plage, malgré le couvre‑feu, et n’a pas signé le registre—Les soldats déployés en Colombie‑Britannique pour lutter contre les incendies de forêt étaient « de service » 24 heures par jour, sept jours par semaine—Le militaire avait participé aux opérations de lutte contre les incendies pendant 16 heures le jour où il est allé se baigner à la plage—On a refusé la demande de pension que la veuve du militaire a présentée au motif que celle‑ci n’a pas prouvé que le décès du militaire résultait d’une blessure « consécutive ou rattachée directement » au service militaire, comme l’exige l’art. 21(2)b) de la Loi sur les pensions—Ce refus a été confirmé dans une série de décisions du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le Tribunal) mais ces décisions ont été annulées dans Frye c. Canada (Procureur général), 2004 CF 986—Le ministre des Anciens combattants a interjeté appel, soutenant que la C.F. avait en fait substitué son opinion à celle du Tribunal—La veuve aurait sans doute touché une pension si l’accident était survenu après que la Loi a été modifiée par les art. 1 à 3 de la L.C. 2003, ch. 12 (les modifications permettant à une personne de réclamer une pension en démontrant qu’un membre des Forces armées avait été blessé ou tué alors qu’il était en « service spécial », ce qui pouvait comprendre le service comportant un « risque élevé », comme c’est le cas des opérations de lutte contre les feux de forêt et, en pareil cas, la personne qui réclame une pension ne serait pas tenue de prouver que le décès était consécutif ou rattaché directement au service militaire du membre), mais les modifications ne s’appliquaient pas rétroactivement à l’année 1994—Le Tribunal a conclu que puisque le militaire « profitait de la politique de loisir et de détente » lorsqu’il a été tué, son décès n’était pas consécutif ou rattaché directement à son service militaire—Le Tribunal a également décidé que le décès ne pouvait pas être réputé consécutif au service militaire au sens de l’art. 21(3)f) de la Loi qui prévoit qu’une blessure est réputée être consécutive ou rattachée directement au service militaire si elle est survenue au cours d’une opération militaire, soit par suite d’un ordre précis, soit par suite d’usages ou pratiques militaires établis, que l’omission d’accomplir l’acte qui a entraîné la blessure eût entraîné ou non des mesures disciplinaires contre le membre des forces—Le Tribunal s’est fondé sur le fait que le militaire a quitté le camp sans signer le registre, aucun élément de preuve ne montrait qu’il a été influencé d’une façon ou d’une autre par les ordres de son supérieur à cet égard—La C.F. a conclu que la veuve avait établi le lien de causalité direct ou étroit nécessaire entre le décès du militaire et le service militaire de celui‑ci—Les décisions du Tribunal sur la question de savoir si une blessure était « consécutive ou rattachée directement » au service militaire pour l’application de l’art. 21(2)a) de la Loi sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable simpliciter mais, lorsque les questions en litige sont purement factuelles, la norme s’apparente à la décision manifestement déraisonnable, comme le prévoit l’art. 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales—Lorsque l’interprétation que le Tribunal donne à la Loi est en litige, elle est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte—Depuis Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2, à la p. 10, le principe est que la législation relative au bien‑être social doit être interprétée de manière libérale, « tout doute découlant de l’ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du prestataire  »—Ces principes d’interprétation ont également été appliqués dans le contexte de la législation relative aux normes d’emploi, Régime de pensions du Canada—La Loi sur les pensions est une loi « conférant des avantages »—Le principe selon lequel la Loi devrait recevoir une interprétation libérale est appuyé non seulement par la jurisprudence, mais également par des dispositions claires du texte législatif en cause—L’art. 2 prévoit ce qui suit: « les dispositions de la présente loi s’interprètent d’une façon libérale »—L’art. 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) prévoit que les dispositions de cette loi doivent s’interpréter de façon large, et exige que le Tribunal tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possibles au demandeur et de trancher en faveur du demandeur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande—Dans Metcalfe c. Canada  (1999), 160 F.T.R. 281 (C.F. 1re inst.), il a été décidé que bien que l’art. 39 ne peut avoir pour effet d’inverser le fardeau de la preuve, il va largement en ce sens—Il est nécessaire de donner aux mots « arising out of » (découle de) de l’art. 21(2)b) une interprétation large de telle sorte qu’on ne requiert pas l’existence d’un lien de causalité direct ou immédiat—La C.F. a adopté à bon escient une interprétation large de la Loi sur les pensions mais a décidé que le mot « consécutive » du texte français de l’art. 21(1)b) a introduit une nuance qui ne figure pas dans l’expression anglaise correspondante « arising out », qui est plus large—Elle  a  décidé  que  les  mots   déterminants   étaient « rattachée directement » qui, selon elle, sont synonymes de « causée directement par »—Cette analyse allait à l’encontre de l’interprétation large que le juge avait adoptée et n’était pas exigée par le texte de la Loi—Il est significatif que les mots « consécutive » et « rattachée directement » sont unis par le mot « ou », ce qui semblerait indiquer que le législateur n’avait pas l’intention de prévoir que le demandeur serait admissible à toucher une pension uniquement si le décès était à la fois « consécutif » et « rattaché directement » au service militaire—Le mot « consécutive » n’impose pas la restriction que la C.F. a décrite—Le Tribunal n’a pas commis d’erreur parce qu’il n’a pas examiné le sens du mot « directement »— Selon des dictionnaires français, le terme « consécutif » signifie « resulting from », « due to », « following upon », « qui suit », « résulte de », « est une conséquence de »—Ces définitions ne suggèrent pas un lien de causalité plus étroit entre les événements que l’expression anglaise non spécifique « arising out of »—S’il existe une différence entre les deux versions officielles, il convient de choisir le sens plus large lorsque ce sens exprime mieux l’intention du législateur—Un demandeur peut être visé par l’art. 21(1)b) en établissant que le décès est consécutif au service militaire, qu’il y ait ou non un lien direct entre eux—Même s’il ne suffit pas de prouver que la personne servait dans les Forces armées à l’époque, il n’est pas nécessaire que le demandeur établisse un lien de causalité direct ou immédiat entre le décès et le service militaire—Il appert des motifs de la décision relative à l’appel que le Tribunal a mal interprété le mot « consécutive » en disant que ce mot exigeait un lien de causalité immédiat entre le décès et le service militaire—De l’avis du Tribunal, le décès du militaire n’était pas consécutif ou rattaché directement au service militaire parce qu’il est survenu pendant que le militaire s’adonnait à un loisir—Le Tribunal semble donc avoir considéré les activités récréatives et les activités du service militaire comme des catégories qui s’excluent l’une et l’autre—Cette interprétation restrictive des mots « consécutive ou rattachée directement » n’est pas compatible avec l’interprétation libérale et généreuse que la Loi doit recevoir—Le Tribunal aurait dû accorder une certaine importance à l’affirmation du commandant selon laquelle il avait approuvé une politique de loisir et de détente afin d’éviter que les soldats ne s’épuisent après avoir travaillé de longues heures à combattre les feux de forêt dans des conditions sales, pénibles et dangereuses et, bien que la preuve ne permette pas de savoir si la baignade à la plage était autorisée par la politique de loisir et de détente, l’inscription des mots « plage » et « ville » comme destinations dans les registres du camp permettait de déduire que les officiers toléraient les sorties à la plage —La C.F. n’a commis aucune erreur de principe lorsqu’elle a renvoyé l’affaire au Tribunal pour qu’il la réexamine en prenant en considération que le décès est consécutif ou rattaché directement au service militaire, la C.F. pouvait conclure à bon escient que, si le Tribunal avait interprété la Loi correctement, la seule conclusion raisonnable qu’il aurait pu tirer des faits était que le décès était consécutif ou rattaché directement au service militaire—Appel rejeté—Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), ch. P‑6, art. 2, 21(2)b), (3)f)—Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1(4)d) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27)—Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18, art. 39.

Frye c. Canada (Procureur général) (A-441-04, 2005 CAF 264, juges Linden, Sexton et Evans, J.C.A., jugement en date du 8‑8‑05, 15 p.)

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