Winn c. Canada ( Procureur général )
T-1404-93
juge Joyal
2-9-94
12 p.
Demande de contrôle judiciaire visant le refus du procureur général d'autoriser des poursuites contre le Conseil national de recherches (CNR) pour infractions présumées à l'art. 59 de la Loi canadienne des droits de la personne, ou demande d'ordonnance enjoignant au procureur général de demander à la Cour fédérale de nommer une personne impartiale agissant sous le contrôle de la Cour afin de décider d'accorder ou de refuser le consentement-L'art. 59 interdit toute mesure de rétorsion à l'encontre de personnes portant plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne-L'art. 60(4) prévoit qu'aucune poursuite criminelle ne pourra être engagée sans le consentement du procureur général-Le tribunal des droits de la personne décide que, du fait de l'action de certains de ses employés, le CNR s'était livré à l'encontre de M. Chander P. Grover, chercheur au CNR, à des pratiques discriminatoires en raison de sa race, de sa couleur et de son origine nationale-Au cours des audiences du tribunal, le CNR a transmis à M. Grover un préavis de six mois portant licenciement, le préavis étant annulé deux semaines plus tard-Le tribunal a conclu à l'existence de mesures de rétorsion-Après avis d'un conseil extérieur, le procureur général a refusé de consentir à des poursuites-L'enquête de la GRC a conclu à l'insuffisance de preuves permettant d'entamer des poursuites-La demande est rejetée-Les tribunaux judiciaires ne doivent pas éluder les responsabilités qui sont les leurs en tant que gardiens de l'état de droit lorsqu'est contestée en justice une décision prétendument entachée d'une illégalité, mais ils devraient beaucoup hésiter à étendre, dans les domaines prévus à l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale, le rôle de surveillance qui est le leur ou à adopter une attitude interventionniste à l'égard de chaque écart constaté, même lorsque celui-ci n'a guère d'importance ou n'a que peu de rapport avec le fond de la décision mise en cause-Les tribunaux doivent faire abstraction de leur propre opinion quant au bien-fondé de la décision, particulièrement dans les cas oú le pouvoir discrétionnaire conféré par la loi est exercé en matière purement administrative-En agissant autrement, les tribunaux saperaient l'autorité du législateur qui a délégué à certaines personnes et à certains organismes le pouvoir de rendre des décisions-Le principe de la retenue judiciaire s'appliquera plus encore aux décisions de nature purement discrétionnaire alors que la loi en question ne donne aucune directive et ne pose aucune restriction quant aux cas oú ce pouvoir discrétionnaire doit s'exercer et quant aux modalités de cet exercice-Le dossier des requérants est peut- être étayé par de solides raisons touchant aussi bien la politique que les principes de gouvernement, mais il n'appartient pas à la justice de trancher la question-Il appartient traditionnellement au procureur général de décider, de lui-même et en vertu de son pouvoir discrétionnaire exclusif, de l'opportunité des poursuites criminelles-En cela, le procureur général n'est comptable qu'au Parlement, et non pas à l'ordre judiciaire-La doctrine du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites a été énoncée à nouveau dans l'arrêt Sa Majesté la Reine c. T. (V.), [1992] 1 R.C.S. 749-La Cour suprême du Canada a montré très clairement qu'en ce qui concerne l'opportunité des poursuites, le procureur général bénéficie d'un large pouvoir discrétionnaire et que de telles décisions se prêtent «particulièrement mal au contrôle judiciaire»-Ce pouvoir discrétionnaire ne porte nullement atteinte aux principes de justice fondamentale inscrits dans la Charte-Si un texte de loi confère au procureur général le pouvoir discrétionnaire de consentir ou non à l'engagement de poursuites, le conflit d'intérêts ou le parti-pris que l'on croit pouvoir relever doivent céder le pas à la nécessité de faire respecter le texte en cause et de permettre l'exercice du pouvoir discrétionnaire-En l'absence de preuves nettes et claires permettant de conclure à un abus des pouvoirs et des privilèges conférés à un procureur général, sa décision n'est pas soumise à contrôle judiciaire-Il n'y a aucune distinction à faire entre le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites et l'autorisation de poursuivre-Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H-6, art. 2, 7, 59 60(4).