TRAVAUX PUBLICS |
Monit International Inc. c. Canada
T-878-93
2004 CF 75, juge Beaudry
20-1-04
110 p.
Monit International Inc. réclame à la défenderesse des dommages-intérêts de 106 millions de dollars--De 1974 à 1996, l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) était locataire dans l'édifice de la demanderesse situé à Montréal--Monit allègue qu'en 1992, lors des négociations en vue de prolonger la location au moyen d'un bail à court terme, et de deux appels d'offres qu'il ont effectués en vue de signer un bail à long terme, les représentants de Travaux publics Canada (TPC) ont failli à leurs obligations de collaboration, de renseignement, d'équité, de bonne foi, de diligence, ou de «commercial fair play» envers elle--En mai 1992, TPC a publié un appel d'offres en vue de conclure un bail à long terme avec un locateur--Monit soumet une offre--TPC décide ensuite d'annuler cet appel d'offres et en fait un deuxième en septembre 1992--Monit fait une deuxième soumission, qui est rejetée--Finalement, la companie Westcliff est retenue pour construire un immeuble au 999, rue Université à Montréal--Le siège social de l'OACI est maintenant situé à cet endroit--Le 26 avril 2001, sur consentement des parties, une ordonnance fut rendue portant que les dommages seront déterminés une fois que la responsabilité aura été établie--La défenderesse a soutenu que l'adjudication des contrats par l'État au moyen d'appels d'offres relève du droit public et administratif, et la jurisprudence de common law s'applique en cette matière--La demanderesse a cité l'ouvrage de la juge Thérèse Rousseau-Houle, Les contrats de construction en droit public et privé, Montréal, Wilson & Lafleur, 1982: «Les provinces ont juridiction exclusive en matière de propriété et de droit civil, et sont par-là seules habilitées à réglementer les contrats. Ainsi, tout contrat civil ou administratif doit-il être régi au Québec par le droit privé provincial. Ce droit privé provincial est incontestablement chez nous: c'est donc lui qui doit fondamentalement régir les contrats de l'Administration.»-- Les tribunaux formulent certaines réserves relativement à l'importation des principes de common law lorsque le droit civil prévoit des règles--La défenderesse reconnaît le principe de la négociation de bonne foi et estime s'être conformée à ce principe dans tous ses échanges avec Monit--L'analyse traite de trois périodes critiques: 1) période avant le premier appel d'offres (période 1); 2) premier appel d'offres (période 2); et 3) deuxième appel d'offres (période 3)--Relativement à la période 1, Monit allègue que la défenderesse lui a caché des documents--Elle a donc eu recours à la Loi sur l'accès à l'information pour obtenir l'information nécessaire afin de présenter sa preuve--Même à la fin du procès, elle n'avait toujours pas reçu tous les documents demandés auxquels elle avait droit--La défenderesse a invoqué des privilèges en vertu des arts. 37, 38 et 39 de la Loi sur la preuve au Canada--La demanderesse n'a fait aucune demande pour contester les privilèges de la Couronne et l'immunité invoqué à l'égard du témoin Paradis--La défenderesse est irréprochable sur ce point--Ensuite, la demanderesse prétend n'avoir été mis au courant des activités de la Société du centre de conférences internationales de Montréal (SCCIM) et du projet de la Cité internationale qu'à l'automne 1991--La Cour a trouvé curieux que son entreprise n'en ait pas eu vent avant cette époque car, depuis 1989, on en discutait amplement dans les journaux-- De plus, la récession sévissait à Montréal, le taux d'inoccupation des immeubles était très élevé et le SCCIM était un projet d'envergure qui était probablement le plus important à Montréal depuis plusieurs années--L'OACI était le plus important locataire de Monit--Relativement à l'intention de Monit de négocier un bail à long terme, la Cour a souscrit à l'argument selon lequel les négociations doivent être menées de bonne foi, imprégnées des principes de loyauté et de divulgation et ne pas être rompues sans justification-- Elle doit donc décider si TPC a négocié avec la demanderesse du mois de mai 1991 jusqu'au lancement du premier appel d'offres. Dans la négative, les principes de loyauté, de divulgation et d'interruption sans justification ne s'appliquent pas--La Cour est arrivée à la conclusion que TPC n'a pas négocié avec Monit--En ce qui concerne la demande d'une option de renouvellement de 18 mois à l'expiration du bail, Monit a allégué qu'il y a eu arnaque, complot, que les dés étaient pipés d'avance et que le gouvernement fédéral avait décidé de loger l'OACI dans la Cité internationale--La Cour est arrivée aux conclusions suivantes: Monit n'a pas été victime d'arnaque ou de complot; elle n'a pas été induite en erreur et elle a été adéquatement informée de la situation par TPC; TPC n'avait pas d'intention cachée lorqu'il a demandé la prolongation du bail de 18 mois; aucune promesse n'a été faite à Monit que l'OACI demeurerait dans son édifice; et les rénovations effectuées par Monit ont eu lieu dans le cours normal des relations locateur-locataire--Concernant le premier appel d'offres, il s'agissait de savoir si la décision d'écarter la proposition de Monit était conforme au devis-- Décision erronée--En choisissant d'exercer la prolongation à court terme et en décidant d'éliminer la proposition de Monit, TPC a changé unilatéralement les règles du jeu, ce qui va à l'encontre des modalités prévues dans le devis--Monit s'est conformée aux documents d'appel d'offres en soumettant une proposition pour un bail débutant en 1994--Relativement à l'obligation de négocier avec Monit, la jurisprudence sur le sujet prohibe la négociation avec un seul des soumissionnaires après l'ouverture des soumissions--Négocier enfreindrait le principe d'égalité entre les soumissionnaires--Même si TPC avait le pouvoir de négocier, il n'avait pas l'obligation de le faire--La clause de réserve lui accorde une grande latitude-- En mai 1992, dans un mémo à M. Noble (ancien directeur général, Ministère des Affaires étrangères), M. Miller (ancien chargé de projet à TPC) décrit la démarche à suivre pour choisir la meilleure soumission--Après avoir déterminé quelle est la meilleure, des négociations sont prévues--M. Miller envisageait de négocier après l'ouverture des soumissions-- Cependant, quatre jours avant l'ouverture de celles-ci, TPC reçoit l'opinion du ministère de la Justice selon laquelle cet appel d'offres n'est pas un appel de propositions et il ne peut pas y avoir de négociation--En conclusion, TPC aurait dû considérer la proposition de Monit et engager des négociations avec elle à la suite de sa soumission de juin 1992--La défenderesse n'avait pas à octroyer le contrat à Monit, mais on a fait perdre à Monit l'opportunité d'obtenir un contrat--Pour conclure sur la période 2, Monit renonçait-elle à ses droits découlant du premier appel d'offres en acceptant de participer au deuxième appel d'offres?--Aucune preuve au dossier ne démontre clairement que Monit a renoncé ou voulu renoncer à ses droits--Il n'y a pas non plus de manifestations expresses ou tacites d'une telle renonciation--De plus, Monit ne connaissait pas, avant le dépôt de sa soumission le 15 novembre 1992, l'ensemble des faits pertinents qui auraient pu lui permettre de renoncer à ses droits découlant du premier appel d'offres--En ce qui concerne le deuxième appel d'offres, Monit apprend le 24 mars 1993, que sa proposition est disqualifiée car elle n'a pas obtenu la note de passage de 70% sur la plan technique--Des représentants de TPC ont rencontré les représentants de Monit le 29 septembre 1992--Le but de la rencontre était de s'assurer que Monit comprenait bien le deuxième devis, de discuter de sa première proposition et de lui faire connaître ses points forts et ses points faibles et finalement de lui permettre de réussir la phase technique--Monit n'a pas été induite en erreur et TPC ne lui a pas fait miroiter un laissez-passer gratuit de passer de la première phase à la deuxième--Au contraire, des mises en gardes sérieuses lui ont été faites, surtout en ce qui concerne les critères relatifs à l'échéancier et à la sécurité-- Relativement aux questions et réponses, demandes de clarification, la demanderesse a allégué que les critères dans chacune des catégories étaient inconnus--De plus, l'annulation de certaines demandes de clarification par M. Miller l'aurait défavorisée--Les demandes de clarification biffées par M. Miller n'ont eu aucune incidence importante sur l'évaluation de la proposition de Monit--S'il est vrai que les critères étaient inconnus, ils étaient inconnus pour tous et ne défavorisaient donc pas Monit par rapport aux autres-- Monit, commes les autres soumissionnaires, a obtenu de TPC les renseignements nécessaires à la préparation adéquate de sa proposition--Quant à la méthode d'évaluation, l'Administra-tion publique n'a pas à divulguer ses critères d'évaluation ou les facteurs de pondération--L'Administration peut rajouter des critères à l'insu des soumissionnaires, en autant que tous les soumissionnaires soient traités de la même façon--La demanderesse a soulevé la question de l'inexpérience des évaluateurs--Or, leur travail a été fait sans parti pris, sans préjugé, au meilleur de leur capacité et de leurs connaissances --Ils ont exercé leur jugement en comparant les différentes propositions--À la réunion du 12 janvier 1993, les évalua-teurs y déposaient les notes attribuées à chacun des critères dans leur propre sphère d'activité--L'objectif était de déterminer quelles seront les notes finales pour chacunes des propositions--Monit a plaidé qu'en raison des contradictions évidentes dans les témoignages, TPC n'aurait pas dû ajouter Monit à la liste de ceux qui ont échoué dans les catégories de l'architecture, l'ingénierie et la fonctionnalité--Pourtant, les experts de la demanderesse ont confirmé l'absence de discrimination ou de favoritisme de la part des évaluateurs-- Quant au dernier aspect de la période 3, la proposition retenue, acceptée et autorisée par toutes les instances décisionnelles était celle de la companie Westcliff sur son site rue Université à Montréal--La demanderesse soutient qu'il y a eu «tordage de bras» pour convaincre l'OACI de déménager dans la Cité internationale où se trouve le nouvel édifice, ce qui a résulté en un traitement injuste pour Monit--La preuve prépondé-rante a démontré que Pierre Martin (ancien consultant auprès de l'OACI) n'avait aucun préjugé défavorable à l'endroit de Monit--Conclusions: Durant les périodes précédant le premier appel d'offres, le premier appel d'offres et le deuxième appel d'offres, le gouvernement et ses représentants avaient une obligation d'équité, de bonne foi ou de diligence envers la demanderesse--Le gouvernement et ses représen-tants n'ont pas failli à cette obligation d'équité, de bonne foi ou de diligence envers la demanderesse pour la première et la troisième période, mais ils ont failli à cette obligation pour la deuxième période--Ce faisant, le gouvernement a engagé sa responsabilité envers la demanderesse pour la deuxième période--La défenderesse ou l'un quelconque de ses ministères ou représentants n'ont pas comploté pour faire en sorte que l'OACI ne demeure pas dans l'immeuble de Monit --Durant la période précédant le premier appel d'offres, la défenderesse n'a pas fait de fausses représentations à Monit quant à ses intentions relativement au renouvellement à long terme des baux et elle n'a pas manqué à son obligation d'agir de bonne foi--Monit savait que TPC considérait plusieurs options et que le renouvellement à long terme des baux n'était donc aucunement assuré--Durant la période du premier appel d'offres, la proposition faite par Monit a été évaluée de façon attentive, équitable et impartiale par la défenderesse, sauf que celle-ci aurait dû considérer la proposition de Monit et entamer des négociations avec elle après avoir constaté que seule sa proposition était qualifiée au niveau technique-- Durant la période du deuxième appel d'offres, la proposition de Monit a été évaluée de façon attentive, équitable et impartiale par la défenderesse--Durant cette période, la défenderesse a agi conformément à l'obligation de bonne foi qui lui incombe à l'égard de tous--Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1--Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 37 (mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 43, 140; 2002, ch. 8, art. 183), 38 (mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 43, 141), 39 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, ann. VII, art. 5).