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PEUPLES AUTOCHTONES

Taxation

Benoit c. Canada

A-47-02

2003 CAF 236, juge Nadon, J.C.A.

11-6-03

70 p.

Appel de la décision du juge Campbell ([2002] 2 C.N.L.R. 1) qui porte que le Traité 8 conclu en 1899 entre la Couronne et les Cris et Déné comprend la promesse que les signataires Autochtones ne seraient assujettis à aucune taxe, pour quelque motif que ce soit--Il a décidé que ce droit issu de traités n'a pas été éteint avant le 17 avril 1982 et il est maintenant protégé par la Loi constitutionnelle de 1982--L'application des mesures fédérales de taxation aux bénéficiaires du Traité 8 est incompatible avec l'art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, et elle est nulle et de nul effet dans la mesure même de cette incompatibilité--Le Traité 8 est l'un des 11 traités conclus entre 1871 et 1923 pour faciliter la colonisation de l'Ouest--Le Traité 8 prévoit la cession de vastes territoires, en contrepartie d'engagements portant sur les réserves, les écoles, les annuités, l'équipement agricole, les munitions, et les secours en cas de famine ou d'épidémie de peste--Les droits de chasser, de piéger et de pêcher y sont garantis--On ne trouve dans le Traité 8 aucune promesse d'exemption fiscale pour les Autochtones--Malgré ceci, et nonobstant le fait qu'il a conclu que les commissaires pour le Traité n'avaient pas l'intention de promettre une exemption fiscale, le juge Campbell a conclu que le Traité devait être interprété comme s'il contenait une telle promesse--C'est cette conclusion qui est portée en appel--Le litige trouve sa source dans le Rapport présenté par les commissaires pour le Traité à Clifford Sifton, surintendant général des Affaires des Sauvages--Dans ce long document, on trouve ceci: «Nous les assurâmes que le traité ne mènerait à aucune intervention forcée dans leur manière de vivre, qu'il n'ouvrait aucune voie pour l'imposition de taxes, et qu'ils n'avaient pas à craindre le service militaire obligatoire»--Il est clair au vu de la preuve que les commissaires pour le Traité avaient l'intention d'agir dans le cadre de leur mandat et non de créer des droits qui ne se trouvaient pas dans les autres traités (où il n'est pas question d'exemption fiscale)--Le juge de première instance fait remarquer que le surintendant général avait donné instruction aux commissaires de ne pas dépasser les modalités des traités antérieurs--Les intimés fondent leur prétention au droit de n'être assujettis à aucune taxe sur l'extrait précité du Rapport des commissaires--Les appelants soutiennent qu'on n'a jamais promis aux Indiens qu'ils seraient exemptés de la taxation et que les signataires Autochtones n'ont jamais compris qu'on leur aurait fait une telle promesse--Le juge Campbell a conclu que les termes utilisés dans le Rapport constituent une promesse du Traité, nonobstant le fait que rien dans la preuve n'indiquait une intention commune--Il a néanmoins conclu que les Indiens ont compris que les termes utilisés par les commissaires constituaient une promesse d'exemption fiscale s'ils adhéraient au Traité--Au vu du principe de l'honneur de la Couronne, celle-ci devait assumer la responsabilité du malentendu--Bien que l'appel soulève quelque cinq questions, la réponse à une seule suffit à le trancher: le juge de première instance a-t-il commis une erreur en concluant que les signataires Autochtones avaient mal compris les déclarations des commissaires pour le Traité? --Les appelants soutiennent que le juge Campbell a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de toute la preuve démontrant le contraire de sa conclusion, qui veut que la preuve historique orale permet de dire que les signataires Autochtones ont compris qu'on leur promettait une exemption fiscale--Dans Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, le juge en chef Lamer a déclaré que si le juge avait commis une «une erreur manifeste et dominante», une cour d'appel pouvait substituer ses propres conclusions de fait--La preuve présentée en l'espèce ne peut raisonnablement appuyer la conclusion à laquelle le juge Campbell est arrivé--En cherchant à se montrer réceptif à l'histoire orale présentée par les intimés, le juge a franchi la limite décrite par le juge en chef McLachlin dans Mitchell c. M.R.N., [2001] 1 R.C.S. 911, au para. 39: «Il y a une limite à ne pas franchir entre l'application éclairée des règles de preuve et l'abandon complet de ces règles. Comme le note le juge Binnie dans le contexte des droits issus de traités, " [i]l ne faut pas confondre les règles `généreuses' d'interprétation avec un vague sentiment de largesse a posteriori" (R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456)»--«Dire qu'il faut accorder le poids qui convient au point de vue autochtone [ . . .] ne devrait pas [. . .] l[e] faire ployer artificiellement sous plus de poids que ce qu'[il] peut raisonnablement étayer.»--Le fardeau de prouver que les signataires Autochtones ont mal compris incombe aux intimés--Ce fardeau est soumis à une norme civile--Dans Smith c. Smith, [1952] 2 R.C.S. 312, le juge Cartwright fait sienne la déclaration suivante du juge Dixon dans Briginshaw v. Briginshaw (1938), 60 C.L.R. 336 (H.C. Aust.): «la satisfaction raisonnable n'est pas un état d'esprit auquel on peut arriver indépendamment de la nature et des conséquences des faits qu'il faut établir. La question de savoir si une situation est établie à la satisfaction raisonnable du tribunal doit tenir compte du sérieux de l'allégation . . . ou de la gravité des conséquences qui en découlent»--L'aspect très sérieux de l'allégation des intimés, savoir qu'ils ne doivent être assujettis à aucune taxe pour quelque motif que ce soit, et les conséquences graves découlant d'une décision de la Cour allant dans ce sens font que le juge de première instance devait évaluer avec soin toute la preuve produite; comme il ne l'a pas fait, il a commis une erreur grave qui justifie l'intervention de la Cour d'appel--Les preuves sur lesquelles le juge Campbell s'est appuyé sont, pour reprendre les termes du juge en chef McLachlin dans Mitchell, «éparses, incertaines et équivoques»--Les appelants ont fait état d'une preuve importante ignorée par le juge de première instance-- Il a notamment exclu les transcriptions de toutes les entrevues avec les anciens conduites au cours des années 1970, dans le cadre du projet Treaty and Aboriginal Rights Research (TARR), sauf pour une ou deux des entrevues avec M. Mustus, un aîné Cri--Toutes les transcriptions étaient recevables, ou bien aucune ne l'était--Le juge Campbell s'est appuyé sur le fait que l'entrevue Mustus était la seule ou l'on mentionnait la taxation--Le fait que les autres ne disent rien au sujet de la taxation ne leur enlève pas toute pertinence--Le fait que plus de 100 aînés n'ont pas mentionné la taxation indique clairement qu'ils peuvent ne pas avoir cru à l'existence d'une promesse en matière de taxes--Les motifs du juge font ressortir le fait qu'il ne voulait pas traiter de l'absence dans la plupart des transcriptions du projet TARR de toute mention d'une exemption fiscale--En invoquant les conjectures, le juge Campbell a refusé tout examen des implications de l'aspect unique de l'entrevue de M. Mustus--En arrivant à sa conclusion qu'il y avait eu une promesse en matière de taxes, le juge de première instance s'est fondé sur un affidavit non assermenté de M. Willier, un aîné Cri--29 autres aînés qui ont accordé une entrevue à l'avocate de la Saskatchewan qui a préparé l'affidavit Willier n'ont aucunement mentionné une promesse en matière de taxes non respectée, fait dont le juge n'a tenu aucun compte--Au cours des années 1930, l'évêque Breynat, qui était présent lors de l'adhésion au Traité, a lancé un mouvement de protestation visant le non-respect par le gouvernement du Canada des promesses faites--Les affidavits de l'évêque et de Cornwall, un résident d'Edmonton qui était présent lors de l'adhésion au Traité, ne contiennent aucune mention d'une promesse en matière de taxes--Le juge de première instance n'a pas tenu compte de ces affidavits--La Cour d'appel ne pouvait souscrire au point de vue des intimés que comme la taxation avait peu d'importance dans les années 1930, l'absence de mention d'une promesse en matière de taxes est sans signification--Les signataires Autochtones qui ont présenté des mémoires détaillés au Comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes en 1946 avaient beaucoup de choses à dire au sujet de la taxation--Certains témoins experts ont fait état d'un ouvrage écrit par René Fumoleau, O.M.I., intitulé As Long as this Land Shall Last: A History of Treaty 8 and Treaty 11, 1870-1939 (Toronto; McClelland and Stewart, 1973)--Cet ouvrage fait état des recherches portant sur la compréhension qu'avaient les Indiens des promesses faites et on n'y trouve pas mention d'une promesse en matière de taxes--M. Irwin, un historien qui a fait des recherches exhaustives sur le sujet, a confirmé lors de son contre-interrogatoire le fait que le Rapport des commissaires est le seul document qui parle de la taxation dans le cadre du Traité 8--Lors de son dépôt à Ottawa, il n'a pas suscité de controverse et les commissaires n'ont pas été critiqués--La preuve de Patricia McCormack, une anthropologue citée par les intimés, a appuyé la position des appelants--Sa thèse de doctorat ne parle pas d'une promesse d'exemption fiscale, bien qu'elle ait réalisé des entrevues avec plusieurs anciens en la préparant--En 1946, on a mis sur pied un Comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes pour examiner la Loi des Indiens--Le Comité mixte a reçu et examiné les mémoires des autochtones traitant de plusieurs questions, dont celle de la taxation, aucun ne faisant état d'une promesse d'exemption fiscale qui n'aurait pas été respectée--Les Indiens soumis au Traité ont fait état du fait qu'ils étaient exemptés des taxes tant qu'ils travaillent dans leur réserve, tout en reconnaissant qu'ils acquittaient régulièrement les taxes d'accise et de vente, comme celles sur le tabac et les allumettes--Bien que hautement pertinentes, les présentations exhaustives faites au Comité mixte par les autochtones du Traité 8 n'ont pas été prises en compte par le juge de première instance--Le juge s'est appuyé sur la transcription d'une entrevue réalisée avec M. Mustus, un aîné Cri, sans faire aucune tentative pour en déterminer la signification, nonobstant le fait que ce témoignage était décousu, répétitif et fort loin d'être concluant--M. Mustus n'a pas déclaré que les Autochtones avaient reçu une exemption fiscale absolue--Il a déclaré que les Indiens ne devaient pas payer de taxes foncières, qu'ils ne devaient pas payer pour l'hôpital et l'école et que, «[q]uant à la nourriture, et pour tout ce qu'on achète, lorsqu'il y a des frais additionnels--ou des taxes--que vous payez, c'est la même chose pour un Indien»--Mme Randhile, une aînée Déné, a répondu ceci lorsqu'on lui a demandé si le paiement des taxes avait été abordé dans le cadre du Traité: «Je ne me souviens pas que qui que ce soit ait jamais mentionné ceci . . . si ces choses nous avaient été dites au sujet de la taxation et ainsi de suite, ce serait écrit quelque part»--Ce n'est qu'en réponse à une question suggestive qu'elle a déclaré «Ce qu'on m'a dit à ce sujet c'est que--c'est que nous n'aurions rien à payer pour quoi que ce soit»--La seule conclusion possible était que sa preuve n'était pas fiable--Le juge s'est aussi fondé sur la preuve de M. Paulette, un ancien chef qui n'avait pas de mandat de sa communauté--Son témoignage était vague et équivoque, et il ne permettait pas de conclure à l'existence d'une promesse en matière de taxes--Son témoignage portait sur l'imposition de redevances sur les fourrures, ainsi que sur la récupération des avantages concédés dans le Traité--Il n'allait pas jusqu'à alléguer une exemption fiscale absolue--Son témoignage ne rencontre même pas la «norme de [la] communauté», critère établi par le juge de première instance, puisqu'il n'est que dans la cinquantaine et donc trop jeune pour être considéré comme un aîné--Le dernier témoin dont la preuve a été considérée par le juge est Joe Willier, un aîné Cri âgé de 92 ans--Sa déclaration de 1991 ne peut avoir aucun poids, car son affidavit n'a jamais été assermenté et il n'a pas été mentionné lors de son témoignage--Comme il pouvait témoigner, il n'était pas nécessaire de déposer sa déclaration en preuve--Il en va de même pour sa déclaration de 1999--Le témoignage de M. Willier, savoir qu'on ne lui a jamais dit qu'il aurait à payer des taxes, ne peut être transformé en déclaration que son groupe avait reçu une promesse issue de traités qui leur conférait une exemption fiscale--La terre était un thème central de la preuve de M. Willier et le lien qu'il fait entre les taxes et la terre peut tout à fait être concilié avec le Traité, qui accordait aux Indiens le choix entre la constitution de réserves ou l'octroi de terres individuelles, avec une exemption de la taxation dans les deux cas--S'agissant de la crédibilité, au cours de l'entrevue de 1999, M. Willier a déposé une liste, écrite à la main par son fils, de 19 promesses du Traité, aucune ne portant sur la question de la taxation, mais plus tard lors de la même entrevue, il a déposé une autre liste, dactylographiée par son petit-fils, où l'on trouve une promesse additionnelle: l'exemption fiscale--S'agissant des témoignages de MM. Paulette et Willier, et de Mme Randhile, il est difficile de distinguer le point de vue du témoin de sa relation de l'histoire orale--Dans Mitchell, le juge en chef a clairement déclaré que les principes énoncés dans Delgamuukw c. Colombie-Britannique, ne supposent pas qu'on doive admettre en preuve sans réserve les témoignages portant sur l'histoire orale, non plus qu'ils imposent le poids à leur donner--Le critère de la «norme de [la] communauté» adopté par le juge Campbell ne satisfait pas au critère de Mitchell: une norme objective pour déterminer si la preuve par ouï-dire est utile et fiable--Le juge de première instance ne pouvait subordonner son examen de la question au point de vue de «la communauté»--L'approche adoptée par le juge de première instance est déconcertante: il semble avoir traité la preuve de l'histoire orale présentée par MM. Paulette, Willier et Mustus, et Mme Randhile, comme s'il s'agissait d'une connaissance personnelle--La mention que fait le juge de Maldonado c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission d'appel de l'immigration, indique une certaine confusion dans son esprit--Selon la Loi de cette époque, la Commission n'était pas liée par les règles de preuve et elle pouvait accepter une preuve par ouï-dire qui ne respectait pas les critères de l'utilité et de la fiabilité adoptés par la C.S.C.--Le juge n'a pas semblé tenir compte de la nature de la preuve par ouï-dire présentée par des personnes qui n'étaient pas présentes à la signature du Traité--Le juge a commis une erreur en déclarant que les questions suggestives sont légitimes dans le cadre des témoignages des anciens--De plus, la nature de la preuve de l'histoire orale en l'espèce est différente de celle présentée dans Delgamuukw, qui constituait une litanie sacrée des règles de droit, des traditions et des faits historiques les plus importants d'une maison--Seules certaines personnes avaient le droit de répéter ces récits lors de célébrations importantes et leur authenticité était garantie par le fait que toute personne présente pouvait opposer son désaccord--L'histoire orale en l'espèce est de nature informelle--On n'y trouve pas de mécanismes de régulation--Le fait que le juge de première instance n'a pas compris la nature de la preuve constitue une erreur qui peut être corrigée--Il n'a pas évalué de façon critique la preuve présentée par les témoins dont il a retenu le témoignage--Il a accordé un traitement préférentiel à la preuve de l'histoire orale, contrairement aux principes établis dans Mitchell--Il n'a pas non plus tenu compte de la preuve de témoins experts présentée par des chercheurs comme M. Irwin et Mme McCormack--Au sujet du poids à donner à la preuve de l'histoire orale, je veux citer l'anthropologue Alexander von Gernet: «la question n'est [. . .] peut-être pas tellement de savoir si un document oral relate de façon exacte le passé, mais bien s'il est corroboré par une preuve indépendante [. . .] Une fois que les traditions orales sont présentées comme preuve à l'appui d'une reconstitution de ce qui se serait vraiment produit dans le passé, le fait de ne pas les soumettre à une analyse rigoureuse ne peut que mener à la pratique inacceptable de deux poids, deux mesures»--Cette approche est conforme à Mitchell--La preuve de l'histoire orale ne peut être acceptée à moins qu'elle n'ait été soumise à l'examen critique que les tribunaux et les experts (historiens, archéologues ou spécialistes des sciences sociales) utilisent pour analyser les autres types de preuve qu'ils doivent traiter --En l'espèce, ce qui est en cause n'est pas un droit qui remonte à une époque où l'histoire n'était pas consignée par écrit--Il existe un ensemble considérable de documents au sujet du Traité 8--Ces documents n'appuient pas le point de vue présenté par les intimés et accepté par le juge de première instance--S'il n'avait pas laissé de côté une partie importante de la preuve, en plus d'en avoir mal compris une partie essentielle, il n'aurait pu qu'arriver à la conclusion que les prétentions des intimés n'étaient pas étayées par une preuve suffisante--Le jugement de la Section de première instance est annulé, avec dépens en notre Cour et en instance, à l'exception du coût de préparation des dossiers d'appel, que le Canada s'est engagé à assumer.

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