[2017] 3 R.C.F. F-2
Citoyenneté et Immigration
Exclusion et renvoi
Personnes interdites de territoire
Contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié selon laquelle elle a jugé qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que l’appelant était interdit de territoire au Canada aux termes de l’art. 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, parce qu’il était membre d’une organisation terroriste et qu’en vertu de l’art. 35(1)a), il a été complice de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité — Le demandeur est un Tamoul de nationalité sri lankaise qui s’est vu accorder le statut de réfugié au Canada — Il a travaillé au sein du World Tamil Movement (WTM) — Le demandeur a été frappé d’une mesure d’expulsion du Canada étant donné le risque qu’il posait à la sécurité nationale — Le certificat indiquant que le demandeur constituait une menace pour la sécurité du Canada avait été signé, mais le certificat a été annulé par la suite en application de la loi — Par la suite, deux rapports ont été délivrés alléguant que le demandeur était interdit de territoire en vertu des art. 34(1)c),f) et 35(1)a) — Les rapports indiquaient que le demandeur était interdit de territoire, car il était membre du WTM, une entité réputée pour être l’organisation de façade des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET) et parce qu’il était complice dans d’autres infractions — Il s’agissait principalement de savoir si dans le cadre de l’audience sur l’interdiction de territoire l’intimé avait l’obligation de divulguer des documents classifiés en possession du gouvernement ou sous son contrôle concernant le demandeur — La SI a conclu que, malgré les similitudes procédurales entre l’instance concernant le certificat de sécurité à la Cour fédérale (Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38, [2008] 2 RCS 326 (Charkaoui II)) établissant que le niveau de divulgation requis pour protéger les droits fondamentaux sont touchés par l’instance concernant le certificat de sécurité, et les procédures d’interdiction de territoire devant la SI, l’équité n’exigeait pas la divulgation complète dans les circonstances de l’espèce — La SI a conclu que le demandeur connaissait la preuve qu’il devait produire et a rejeté sa demande pour obtenir communication d’autres éléments de preuve — La SI a jugé, entre autres, que le demandeur a contribué de façon significative, volontaire et consciente aux crimes ou au dessein criminel des TLET avant son arrivée au Canada, et qu’il avait par conséquent participé aux actes criminels des TLET; les droits du demandeur en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés n’ont pas été violés — La SI a rejeté la demande du demandeur pour suspendre l’instance ou d’autres recours en vertu de l’art. 24(2) de la Charte — Il s’agissait principalement de déterminer la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale; si la SI a manqué à son obligation d’équité en omettant d’ordonner la divulgation intégrale de tous les éléments de preuve en vertu de l’arrêt Charkaoui; si le demandeur était un témoin contraignable; si les transcriptions de son propre témoignage dans l’instance concernant le certificat de sécurité étaient admissibles; si la SI a commis une erreur de droit dans son évaluation de la preuve; si la SI a commis une erreur dans l’interprétation de « membre » et de « complice »; et si les actes du défendeur constituaient un abus de procédure — Bien que les questions d’équité procédurale soient généralement examinées selon la norme de la décision correcte, la jurisprudence relative à cette norme qui y est applicable n’est pas établie — En l’espèce, les décisions de la SI faisaient jouer le pouvoir discrétionnaire accordé au décideur en vertu de sa loi constitutive et les règles assouplies en matière de preuve et de procédure de la Commission — En outre, les décisions interlocutoires qu’a rendues la SI en l’espèce étaient en grande partie fondées sur la preuve — À moins d’une décision qui prive une personne d’un procès équitable, la Commission a droit à la retenue lorsque la décision rendue est en grande partie fondée sur les faits et la preuve — Les conclusions relatives à l’interdiction de territoire exigent en règle générale l’application de la norme de la décision raisonnable — En ce qui concerne l’obligation d’équité, la SI n’a pas accepté que les règles d’équité et de justice naturelle exigent la divulgation à un avocat spécial de documents en possession du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) concernant le demandeur lorsque le dossier du défendeur est fondé sur des preuves déjà divulguées au demandeur — Cette conclusion était raisonnable — Les restrictions quant à la divulgation n’ont pas violé les dispositions de la Charte, en particulier dans le contexte de la sécurité nationale — La conclusion de la SI selon laquelle l’équité n’exige pas une divulgation intégrale dans les circonstances de l’espèce était raisonnable; la raison pour laquelle on accorde à un avocat spécial le même genre de divulgation que celle prévue dans l’arrêt Charkaoui II dans le contexte d’un certificat de sécurité est de remédier à la situation causée par le recours du défendeur à des éléments de preuve et des renseignements qui n’ont pas été divulgués à la personne désignée — Le demandeur savait quelle preuve il devait produire en l’espèce; la preuve sur laquelle le défendeur avait l’intention de s’appuyer a été divulguée au demandeur — La conclusion de la SI selon laquelle le demandeur n’a pas établi pourquoi une nouvelle divulgation était requise pour permettre au demandeur de savoir quelle preuve devait être produite était raisonnable — En ce qui concerne les transcriptions, la SI a conclu que le contenu était pertinent pour les questions qui devaient être tranchées à l’audience — Il était raisonnable pour la SI de conclure qu’il n’avait pas été établi que l’absence d’une divulgation complète aurait une incidence négative sur la capacité du demandeur à fournir des témoignages crédibles et fiables — Il existe des différences claires dans la Loi en ce qui concerne le fait de savoir si une personne est contraignable dans le cadre d’une audience concernant un certificat de sécurité et devant la SI — De même, on ne trouve aucune référence explicite à la contraignabilité des témoins devant la SI, mais plusieurs dispositions portent sur le pouvoir de contraindre une personne à témoigner dans le cadre d’une enquête — La SI a conclu à bon droit que le préjudice potentiel que constituait l’admission du témoignage fait sous serment et volontaire du demandeur ne l’emportait pas sur la valeur probatoire que la preuve pertinente comporterait; ainsi, dans les circonstances, la SI a conclu que l’admission du témoignage assermenté antérieurement par le demandeur, qui n’a pas été obtenu en violation de la Charte, n’entraînait pas d’iniquité — En ce qui concerne l’évaluation des éléments de preuve, les preuves documentaires n’ont été utilisées que pour établir que l’organisation des TLET avait commis des actes de terrorisme — La SI ne s’est pas appuyée sur ces éléments de preuve pour conclure que le demandeur était membre des TLET ou qu’il a personnellement commis des actes de terrorisme — Le recours par la SI à ces éléments de preuve à des fins restreintes était raisonnablement justifié dans la décision — Pour tirer sa conclusion selon laquelle le demandeur était membre des TLET, la SI a examiné la jurisprudence pertinente concernant les définitions de terrorisme et d’organisation telles qu’elles se rapportent à l’art. 34(1)f) — Après avoir déterminé que les TLET répondaient à la définition d’organisation terroriste, la SI a abordé la preuve concernant le WTM; elle était convaincue que la totalité des éléments de preuve établissait qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le WTM levait des fonds pour les TLET — La SI n’a pas commis d’erreur en concluant que le demandeur était membre des TLET — La jurisprudence a établi que l’appartenance au sens de la loi incluait le fait d’appuyer de façon matérielle des activités terroristes; la preuve reflète adéquatement la conclusion de la SI — La SI a également déterminé correctement le critère jurisprudentiel applicable à la complicité dans les crimes de guerre, étant donné que les éléments de preuve justifiaient raisonnablement le fait que le demandeur connaissait les activités illégales et le dessein criminel des TLET — La SI a examiné la preuve, jugeant que les actes du demandeur n’étaient pas ceux d’un simple associé, mais bien ceux d’un allié dévoué travaillant volontairement pour le compte des TLET — À ce titre, la conclusion de la SI selon laquelle il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait participé à des crimes de guerre était raisonnable — En ce qui concerne l’abus de procédure, dans les circonstances particulières de l’espèce, la SI n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il n’y avait rien d’injuste en soi dans l’application du droit en matière de complicité à des éléments de preuve antérieurement présentés comme des témoignages volontaires et sous serment lors d’une instance antérieure — En l’espèce, en dépit de retards prolongés causés par des questions interlocutoires, le défendeur a démontré sa détermination continue de renvoyer le demandeur pour avoir participé aux activités du WTM et des TLET — La participation du demandeur dans ces organisations a constitué le fondement principal de son interdiction de territoire; l’ajout d’un autre motif d’interdiction relatif à cette implication ne modifie en rien les choses — Demande rejetée.
Suresh c. Canada (Sécurité publique et Protection civile) (IMM-4483-15, 2017 CF 28, juge Mosley, jugement en date du 10 janvier 2017, 39 p.)