DROIT MARITIME |
Responsabilité délictuelle |
Berhad c. Canada
T-609-99
2004 CF 501, juge Campbell
5-4-04
191 p.
Le vraquier Lantau Peak fait escale à Vancouver pour réparer des membrures de la coque qui se sont détachées au cours de son voyage entre le Japon et le Canada et pour y charger du charbon destiné au Japon--Navire inspecté par les inspecteurs de sécurité du gouvernement qui ordonnent l'immobilisation du navire, pour le motif que les membrures de la coque sont détériorées par la corrosion à plus de 17 p. 100 de l'épaisseur initiale--Navire réparé, sous toutes réserves, selon une norme moins stricte--Navire autorisé à appareiller pour la Chine, pour un voyage sur lest, en vue d'y faire réparer la coque conformément aux conditions de la libération du navire--Action en responsabilité délictuelle fondée sur l'immobilisation et le retard mis à libérer le navire--Défense: les inspecteurs ont agi en vertu d'un pouvoir légal (Loi sur la marine marchande du Canada) de sorte qu'aucune action en responsabilité ne peut être intentée--Si cette défense n'est pas valide, il n'existe aucun obstacle à une action en responsabilité délictuelle fondée sur le droit maritime--Conclusion: le moyen de défense n'est pas recevable, l'immobilisation du navire n'étant pas autorisée par la Loi sur la marine marchande du Canada (Loi)--Les inspecteurs et les superviseurs ont été négligents et la responsabilité civile délictuelle des défendeurs a été engagée --Le navire a été immobilisé à titre de mesure de «contrôle des navires par l'État du port», régime visant à faire respecter des normes de sécurité entre nations maritimes-- Deux ententes à ce sujet: mémorandum d'entente de Paris (Atlantique); mémorandum d'entente de Tokyo (Pacifique)-- Le Canada est partie aux deux ententes--Explication de la notion de «liberté de navigation»--L'État du pavillon exerce un contrôle absolu sur le navire--Le principe de la suprématie de l'État du pavillon demeure un principe fondamental du droit maritime international--Apparition récente de la compétence de l'État côtier, qui amène les États à exercer un contrôle jusqu'à la limite des 200 milles--L'exercice de cette souveraineté est assujetti au droit de passage inoffensif des navires étrangers--La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, (1982) reconnaît aussi bien les principes traditionnels que les nouveaux principes--Le contrôle des navires par l'État du port n'est pas une règle universellement acceptée; elle découle de mémorandums acceptés par un nombre d'États limité--Les deux mémorandums n'ont pas pour objet de supprimer le droit de l'État du pavillon de réglementer ses propres navires--Les preuves indiquent que le navire était entretenu régulièrement--Toutes les réparations demandées par les experts ont été effectuées--Avant son arrivée à Vancouver, aucune administration n'avait déclaré que le navire n'était pas apte à naviguer--Les propriétaires du navire soutiennent qu'il n'était pas raisonnable d'exiger des réparations fondées sur cette norme de détérioration--La Malaisie a demandé la libération du navire--La norme de corrosion pour les membrures de coque établie par la société de classification NK était de 25 p. 100--Les propriétaires acceptent d'effectuer certaines réparations à Vancouver mais souhaitent effectuer le reste à Shanghai parce qu'elles y coûtent moins cher--Conditions de la libération du navire-- Les défendeurs ont substitué à la norme de 17 p. 100 des conditions exigeant que les membrures atteintes de corrosion au-delà de 33 p. 100 soient réparées avant la libération du navire et que les membrures touchées par la corrosion au-delà de 25 p. 100 soient réparées en Chine--Le capitaine a estimé qu'il était obligé d'accepter ces conditions--La suggestion des demanderesses d'effectuer les réparations selon les normes de la société NK n'a pas été prise en considération--La question de la navigabilité réelle du navire n'est pas en litige ici-- Rapport à ce sujet préparé par les architectes navals de New York, C.R. Cushing & Co.--Admissibilité du rapport--Les défendeurs soutiennent que le rapport ne touche pas la qualité des décisions prises--Rapport jugé pertinent, admissible à titre de preuve qu'une analyse professionnelle des données relatives à l'état de la coque permet de formuler une opinion rationnelle au sujet de la navigabilité du navire à un moment donné--L'opinion de l'expert n'est toutefois pas pertinente, étant donné qu'elle n'a joué aucun rôle dans les décisions attaquées--La Cour juge pertinente la déclaration des experts en architecture navale selon laquelle ils n'avaient jamais entendu parler d'une norme de 17 p. 100 en matière de corrosion des membrures de la coque--Inspection aux ultrasons effectuée après les réparations en Chine-- Inadmissible par rapport au but dans lequel elle est présentée --Pertinente quant au montant des dommages- intérêts--Sur quelle base légale les inspecteurs du gouvernement ont-ils immobilisé le navire, initialement et par la suite?--Les défendeurs invoquent l'art. 310 de la Loi sur la marine marchande du Canada--Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, (1974) (Convention SOLAS)--Le Canada a ratifié la Convention qui n'a toutefois pas été introduite dans le droit interne par voie législative--La Convention SOLAS est cependant pertinente, l'immobilisation était apparemment fondée sur des «anomalies structurelles: Convention SOLAS, ch. 1, règl. 11»--Mémorandum de Tokyo examiné--Régime national de sécurité--Les objets de la Loi sur la marine marchande du Canada sont de protéger la santé et de favoriser la sûreté--Prévoit un service d'inspection des navires à vapeur, la nomination d'inspecteurs, la création d'un bureau d'inspection--Autorise les inspecteurs à monter à bord des navires et à les immobiliser--Pouvoir d'immobiliser un navire lorsqu'une disposition de la Loi n'est pas respectée, immobilisation justifiée dans les circonstances --Le Décret sur la sécurité des navires non canadiens a un effet important sur la défense en l'espèce--La Loi sur le cabotage, est administrée par l'Office des transports du Canada--Les définitions de «cabotage» de l'art. 2 sont pertinentes--Question de savoir si la partie V de la Loi est applicable aux navires non canadiens exerçant des activités commerciales dans les eaux canadiennes--Interprétation visant l'harmonie et non pas le conflit: Driedger on The Construction of Statutes, 3e éd., Toronto: Butterworths, 1994, à la page 176--Il convient d'interpréter la Loi et le Décret avec la Convention SOLAS en vue d'harmoniser les effets de ces textes: opinion majoritaire dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (sur l'application des conventions internationales) --L'interprétation de la Loi et du Décret doit tenir compte des réalités du commerce maritime international et viser l'harmonie--La plaidoirie très complète de l'avocat Swanson citée abondamment parce qu'elle expose l'interprétation correcte du rapport existant entre la Loi et le Décret--Si les motifs de l'immobilisation du navire découlent des dispositions non contraignantes de la Convention SOLAS combinées à la reconnaissance volontaire des obligations conventionnelles internationales, pourquoi la détention elle- même ne peut-elle être fondée sur cette même reconnaissance? --Le mémorandum peut être considéré comme un mécanisme «d'exécution»--Les autorités malaisiennes n'ont pas contesté la compétence du Canada d'immobiliser un navire dans le cadre du programme de contrôle des navires par l'État du port prévu par le mémorandum--Collaboration étroite dans la mise en oeuvre des mesures de contrôle des navires par l'État du port--L'immobilisation était fondée sur la violation de la Convention SOLAS, mais toutes les parties ont agi comme si cette mesure était fondée sur l'art. 310 de la Loi--Le rapport existant entre la Loi et le Décret n'a pas été examiné--Ordre de détention signé sur le formulaire de la Loi sur la marine marchande du Canada--La seule préoccupation des demanderesses était d'obtenir la libération du navire par tous les moyens possibles, notamment en interjetant appel devant le président--Les demanderesses s'intéressaient principalement à l'aspect financier de l'immobilisation du navire--Juridiquement, l'immobilisation du navire ne pouvait être fondée sur l'art. 310--Le pouvoir exercé découlait du mémorandum, combiné à la Convention SOLAS--Sur la question de savoir si l'action en négligence est recevable en l'espèce, l'art. 3 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif est cité--Les inspecteurs sont des préposés de la Couronne--Les arguments des défendeurs fondés sur le pouvoir légal de l'art. 310 sont rejetés--Le mémorandum ne peut être considéré comme étant «le pouvoir légal» sur lequel serait fondée l'immobilisation du navire-- L'action des demanderesses est reconnue par la common law maritime--Aux termes des règles de la Convention SOLAS, il convient d'éviter, dans toute la mesure du possible, qu'un navire soit indûment retenu ou retardé; dans le cas où le navire est retardé indûment, son propriétaire a droit à réparation pour le préjudice subi (art. 19f))--En qualité d'autorité ayant accepté le mémorandum, le Canada a convenu de respecter cette norme de prudence--L'autorité ne peut toutefois être poursuivie directement aux termes du mémorandum--Critère de la négligence exposé dans l'arrêt prononcé en 2003 par la C.S.C. dans l'affaire Succession Odhavji c. Woodhouse, [2003] 3 R.C.S. 263: le demandeur doit démontrer: 1) l'existence d'une obligation de diligence, 2) la violation de cette obligation, 3) le préjudice en découlant--Les inspecteurs et les autres fonctionnaires savaient que le navire subirait un manque à gagner s'il était immobilisé et que les réparations étaient plus coûteuses à Vancouver qu'en Chine--Le préjudice était raisonnablement prévisible--Quant à la proximité, il n'est pas inéquitable ni injuste d'imposer aux défendeurs une obligation de diligence--La détention du Lantau Peak n'était pas une décision politique mais une décision opérationnelle--L'action en responsabilité délictuelle est recevable en l'espèce--L'allégation de négligence est fondée sur trois éléments: 1) les motifs de la détention; 2) le retard mis à libérer le navire; 3) les conditions de la libération du navire--Pour ce qui est de la norme de diligence, voir: Ryan c. Victoria (Ville), [1999] 1 R.C.S. 201--Il existe des motifs évidents d'effectuer une inspection approfondie lorsqu'une inspection rapide permet de constater de graves anomalies et une détérioration de la coque et de la structure-- Le navire ne doit être immobilisé que lorsqu'il représente un risque grave pour la sécurité ou pour l'environnement marin--L'inspecteur doit avoir une raison substantielle pour immobiliser un navire--Il doit exister des preuves vérifiables montrant que l'immobilisation est nécessaire--Le «Régime d'inspection des vraquiers» adopté au début des années 1990 par le ministère des Transports établit également une norme en matière d'immobilisation d'un navire--Directive: si l'inspecteur constate après une inspection initiale qu'il existe des anomalies graves touchant la coque ou la structure, il convient de demander aux propriétaires et à la société de classification de décider quelles sont les réparations à effectuer pour rectifier les anomalies--Opinion de la Cour: l'inspecteur qui n'accepte pas cette décision doit avoir de bons motifs fondés sur des preuves solides pour immobiliser le navire; il risque dans le cas contraire que l'immobilisation soit déclarée injustifiée-- Le contrôle des navires par l'État du port est un processus très réglementé qui opère dans un environnement complexe où s'affrontent des intérêts puissants: les États du pavillon, les propriétaires de navire, les sociétés de classification et les autorités de contrôle des navires de l'État du port-- L'imposition d'une norme de 17 p. 100 était arbitraire, invérifiable, non surveillée, incontrôlée et injustifiable--Un inspecteur prudent et raisonnable chargé du contrôle des navires par l'État du port n'aurait pas imposé une norme de 17 p. 100 en matière de détérioration--L'imposition d'une telle norme constituait une violation de l'obligation de diligence qu'assumait Warna envers les demanderesses ainsi que de la négligence--L'imprécision des rapports préparés par Warna constitue de la négligence--Il découle implicitement du Manuel que les décisions doivent faire l'objet d'un contrôle de qualité--L'autorité doit mettre en place un processus de supervision des décisions des inspecteurs, en particulier lorsque la décision d'immobiliser le navire est vivement contestée--Le superviseur (M. Nelson) avait l'obligation de diligence suivante: être au courant des critères utilisés par les inspecteurs en matière d'immobilisation des navires, poser des questions appropriées pour veiller à ce que les inspections soient correctement effectuées, et à ce que l'immobilisation d'un navire repose sur des motifs valables, encourager le recours à l'avis d'un expert dans le processus décisionnel et exiger un tel avis lorsque l'immobilisation est vivement contestée, réviser les rapports pour en vérifier l'exactitude--Nelson n'a pas surveillé correctement Warna-- Il n'a pas remarqué les erreurs que contenait la note d'information--Nelson n'était pas au courant de la pratique de Warna consistant à imposer sa propre norme arbitraire de corrosion de 17 p. 100--La conduite de Nelson constitue de la négligence--Les défendeurs avaient envers les demanderesses l'obligation de prendre une décision rapidement--Les défendeurs avaient été informés du fait que l'immobilisation du navire était considérée comme injustifiée et qu'elle aurait de graves conséquences financières--Absence d'excuse pouvant justifier un délai de trois mois entre la décision d'immobiliser le navire et l'étape suivante du processus--Existence d'éléments qui établissent clairement que les responsables à Ottawa ont fait preuve d'indécision au sujet de la décision de second niveau--L'expert du ministère recommandait, dans son avis, la libération du navire à certaines conditions--Les autorités malaisiennes ont fait tout ce qui était possible pour obtenir la libération du navire-- Processus décisionnel vicié par la crainte que la libération du navire avant que les réparations aient été effectuées à Vancouver compromette le régime de contrôle des navires par l'État du port--Le retard injustifié et la mauvaise gestion du dossier par les défendeurs constituent une violation de la norme de diligence qu'ils avaient envers les demanderesses et constituent de la négligence--Absence complète de transparence du processus décisionnel--Violation de l'obligation d'agir de bonne foi--Conditions de la libération du navire--Absence de base réaliste justifiant l'imposition de conditions extrêmement sévères pour la solution du remorquage--Les conditions imposées étaient fondées sur un cas très grave remontant à plusieurs années--Compte tenu de la grande efficacité du processus de contrôle des navires par l'État du port prévu par les mémorandums de Paris et de Tokyo, le Lantau Peak ne pouvait se soustraire à ses obligations dans ce domaine--Aucune raison d'exiger un cautionnement de 1 million de dollars--Les conditions imposées pour la libération du navire étaient déraisonnables, imprudentes, tout comme les conditions imposées initialement, en violation de l'obligation de diligence-- Conduite négligente de la part de Streeter--Importance de la norme de la société NK en matière de corrosion--Était à l'époque la seule norme non arbitraire et vérifiable en matière de corrosion des membrures de la coque--Tous les navires sont soumis aux normes des sociétés de classification et les certificats de sécurité sont délivrés conformément à ces normes--Les défendeurs n'ont pas fixé de norme, ni accepté les prescriptions de la société de classification; ils ne peuvent donc s'opposer à ce que les dommages soient appréciés en fonction de la norme de la société NK--Question de l'étendue des réparations qui auraient dû être effectuées à Vancouver, compte tenu de la différence de coûts par rapport aux réparations effectuées en Chine--Dommages-intérêts-- Évaluation des dommages-intérêts à partir de la date du premier avis de la société NK indiquant que le Lantau Peak était apte à appareiller pour Shanghai pour y subir des réparations--Compte tenu des différences entre les coûts, il était raisonnable d'espérer que la décision serait annulée après l'appel interjeté devant Streeter--Prise en considération du coût des réparations effectuées à Vancouver et en Chine-- Autres dépenses reliées à l'immobilisation du navire-- Montant total des dommages-intérêts accordés: 4 344 859 $-- Intérêts avant jugement pour une période de 6,49 années au taux préférentiel moyen de 5,76 p. 100--Dépens adjugés aux demanderesses--Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9, art. 310--Mémorandum d'entente de Paris sur le contrôle des navires par l'État du port-- Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, 10 décembre 1982, 1833 U.N.T.S. 3--Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, (1974)--Décret sur la sécurité des navires non canadiens, C.R.C., ch. 1452, art. 3c)--Loi sur le cabotage, L.C. 1992, ch. 31, art. 2(1) «cabotage» (mod. par L.C. 1996, ch. 31, art. 108)--Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, art. 1 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 22), 3 (mod. par L.C. 2001, ch. 4, art. 36)--Mémorandum d'entente de Tokyo sur le contrôle des navires par l'État du port.